Il est minuit. Je reviens seule en voiture d’une soirée entre ami·es et je traverse un campus universitaire. Malgré l’heure avancée, le campus grouille de petits groupes de piéton·nes, encore grisé·es par les partys de la rentrée.
Je m’arrête au feu rouge. À ma droite, une bande s’approche pour traverser le coin de rue. Début vingtaine, des gars qui rigolent et qui parlent fort. Contact visuel involontaire; ils remarquent ma présence. Dans une chorégraphie disgracieuse sur trame sonore de rires gras, leur essaim entoure mon auto et tous me regardent, commencent à faire des gestes suggestifs et à vomir des paroles obscènes.
Autour, aucune issue. Derrière, la largeur de la chaussée est restreinte par des pancartes qui visent à décourager les automobilistes de faire de la vitesse. Impossible de reculer efficacement sans emboutir une balise. Le groupe continue de menacer par des invectives vulgaires et à me toiser par les fenêtres de ma petite hatchback.
Je suis prise au piège, confinée dans mon habitacle comme une fleur sous cloche. Cendrillon enfermée dans son carrosse, condamnée au silence puisque je ne peux pas ouvrir ma fenêtre pour hurler mon mépris, car je n’en deviendrais que plus vulnérable. Je voudrais pouvoir me gonfler et devenir grande comme Godzilla pour qu’on me laisse partir, qu’on comprenne m’avoir sous-estimée.
Le feu vire au vert et la meute regagne le trottoir, abandonne sa proie et s’éloigne en riant. C’est fini.
Tirée d’affaire, je redémarre et, jouissant de mon contrôle retrouvé, je baisse ma fenêtre. Je leur crie un reproche pour réitérer que je suis un être pensant, parlant. Je peux fuir, maintenant, je peux choisir de ne plus les entendre. En contrôle derrière le volant, je me sens affranchie comme Thelma et Louise.
Se servir de la sexualité comme d’une arme
Ce souvenir désagréable est réactivé à la lecture d’une nouvelle récente qui rapporte les agissements misogynes de jeunes hommes d’une résidence étudiante de Madrid. Les gars se sont filmés en train de lancer des insultes salaces et de menacer de viol les filles d’une résidence étudiante. Une vidéo des événements montre, dans une chorégraphie terrifiante, les stores de la résidence masculine qui se lèvent un à un, dévoilant des jeunes hommes poussant des cris d’animaux.
Leur version de la liberté, c’est avant tout détenir le pouvoir d’opprimer
Prendre plaisir à terrifier, à devenir un loup dans la nuit. Il faut avoir pleinement embrassé ses privilèges pour se servir de sa sexualité comme d’une arme. Les harceleurs de campus, dans toute leur immaturité, réitèrent à grand renfort de hennissements et de cris de singes que leur version de la liberté, c’est avant tout détenir le pouvoir d’opprimer.
Crises dans les institutions
En parallèle, des représentant·es étudiant·es annoncent avoir quitté un comité sur les violences à caractère sexuel de l’Université Concordia. L’université ne prendrait pas au sérieux, selon elles et eux, les démarches pour réviser et mettre en place une politique contre les violences sexuelles dans les murs de l’institution.
C’est qu’à l’université, les rapports de pouvoir sont multiples et complexes, et il va falloir tôt ou tard accepter de s’y pencher. Le harcèlement se décline sur plusieurs niveaux de raffinement, allant des rugissements obscènes aux dynamiques de pouvoir plus sournoises.
Entre deux pavillons, dans les couloirs des résidences, dans les salles de classe, ou dans le cadre de contrats d’assistanat à la recherche, les femmes sur les campus ne sont pas là pour enjoliver la décoration. Elles ne sont pas des écrans sur lesquels projeter fantasmes, désirs et autres menaces grivoises.