Les crises écologiques imposent de remettre en question l’illusion du « développement durable » pour envisager la décroissance et la décentralisation économique et politique.
Un article récent du Devoir nous rappelle une fois de plus que « Le monde est en train de basculer vers l’abîme climatique ».
Tous les ans, nous assistons à la répétition des sommets sur le climat et des marches citoyennes dans les grandes villes sans que rien de substantiel ne vienne ralentir la course vers le mur. Entreprises, politiciens et technocrates nous garantissent que le « développement durable » est la voie de l’avenir, alors que tout propos sur la décroissance est rejeté comme utopiste.
Nous sommes au contraire convaincus qu’il faut de toute urgence aller beaucoup plus loin que les « solutions » qui sont actuellement proposées en envisageant une décentralisation importante des décisions politiques et économiques.
Combien de temps le développement peut-il durer?
Le sociologue et philosophe Michel Freitag nous a déjà mis en garde en 1998 contre l’illusion du développement durable. En effet, la poursuite d’une croissance infinie sur une planète aux ressources finies s’avère profondément irrationnelle et impraticable.
Les victoires partielles conduisant par exemple à préserver telle ou telle enclave forestière ou tel milieu humide ne servent que d’écran à la logique générale du mode de production capitaliste qui conduit, à terme, à la dévastation générale.
Ce système est basé sur l’expansion sans limite, il s’agit là de son ADN fondamental. Il ne peut donc, à terme, respecter aucune des formes existantes, qu’il s’agisse des sociétés ou de la nature. Il existe bien sûr des initiatives louables visant à réduire les déchets ou l’empreinte écologique de telle ou telle activité. Mais celles-ci seront toujours insuffisantes tant que le mode de développement général lui-même ne sera pas transformé, ce qui implique de sortir de la logique croissanciste.
Que faire?
En tant qu’éducateurs, nous pensons qu’il est urgent de mettre en place, dans toutes les localités du Québec, des espaces où les citoyens et citoyennes pourront tenir des discussions régulières afin de réfléchir et de se renseigner sur les alternatives possibles au système actuel fondé sur la centralisation des décisions politiques et économiques.
Rapprocher les discussions politiques et économiques du local ne permet pas seulement une réappropriation de ces questions, confisquées par les politiciens professionnels, par les gens ordinaires. Cela permet aussi de décider de ce qui sera produit et de ce qui sera projeté en tenant compte des enjeux de proximité et de l’écosystème. Cela est donc plus démocratique aussi bien que plus écologique.
Sortir du cadre actuel
Il existe plusieurs idées nouvelles sur la manière de décentraliser les institutions politiques et la production économique (communs, circuits courts, écovillages, etc.). Les espaces de discussion que nous appelons auront précisément à se faire une tête sur ce genre d’initiatives et leur articulation dans un projet politique d’ensemble.
Pour notre part, ce genre de réflexion a été notamment alimenté par les des courants comme l’écologie sociale du Vermontois Murray Bookchin et l’écoféminisme.
En résumé, ces approches invitent à comprendre l’interrelation entre différentes formes de pouvoir (capitaliste, étatiste centralisateur, patriarcal, etc.). En effet, aucune solution à la domination sur la nature ne viendra si les autres #formes de domination qui existent dans la société ne sont pas remises en question. Il est donc illusoire d’attendre que les solutions proviennent des groupes qui profitent actuellement de cette domination.
C’est pourquoi les courants que nous mentionnons évoquent de nouvelles institutions alternatives. Celles-ci doivent permettre la mise en place d’une démocratie politique et économique locale s’opposant au gigantisme étatico-capitaliste où tous et toutes pourraient participer à la prise de décision. Ainsi les décisions ne seront pas prises par des gens qui ont intérêt à ce que se poursuive la croissance capitaliste actuelle, comme les chefs d’entreprises ou les politiciens professionnels qui leur sont trop souvent redevables.
Évidemment, il ne s’agit pas de s’enfermer dans son village pour oublier le reste du monde, ni encore « d’agir localement » en oubliant la solidarité internationale. Au contraire, ce même mouvement de décentralisation doit s’accompagner de liens d’entraide forts et de formes de coordination aux niveaux régional, national et international. Ainsi, la logique mondiale de concurrence qui place aujourd’hui les peuples en guerre entre eux ainsi bien que contre la biosphère pourrait être remplacée par la coopération et la protection de la planète.
Plutôt que d’investir nos efforts collectifs dans l’accumulation infinie de l’argent, au profit d’une minorité, jusqu’à en étouffer collectivement, pourquoi ne pas miser plutôt sur une nouvelle « économie » au sens où l’entendait Aristote, soit la bonne gestion de la maisonnée, une économie qui miserait sur le développement culturel, la satisfaction des besoins de base de tous et toutes et la mise en place d’une relation de réciprocité avec la nature.
Eric Martin et Clément Arnould sont professeurs de philosophie au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu.
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