Non, l’immigration n’aggrave pas la crise du logement

LETTRE D’OPINION | Non, les ménages issus de l’immigration ne sont pas responsables de la crise du logement. Au contraire, ils en sont souvent les premières victimes.

Lors d’une récente communication publique, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a tenté de légitimer les mesures d’abaissement des seuils provinciaux d’immigration prévus dans la plateforme électorale de son parti en établissant un lien de causalité hasardeux entre l’accroissement du nombre de ménages issus de l’immigration et l’aggravation de la crise du logement que connaissent de nombreuses municipalités québécoises.

Cette affirmation, loin d’être avérée, contribue à alimenter la xénophobie devenue « banale » dans le champ politique et à stigmatiser les populations issues de l’immigration qui habitent le Québec, en leur faisant porter la responsabilité d’une crise qui a bien d’autres causes.

Des loyers trop chers, et non des locataires de trop

En lieu et place d’assurer des logements décents à la population, on accuse les étranger·ères, ce qui replace ce discours dans une histoire longue du racisme.

Ainsi, il n’est pas anodin de rappeler que la majorité des migrant·es internationaux vers le Québec sont des migrant·es économiques le plus souvent diplômé·es et que la précarisation des personnes migrantes est avant tout à chercher au sein de nos mécanismes d’accueil et de relégation.

Le contexte pandémique des deux dernières années permet de constater que le Québec souffre davantage d’une crise liée à la disponibilité de logements subventionnés et locatifs abordables destinés aux ménages à faibles ou modestes revenus que d’une crise liée à une demande accrue en logements. En effet, durant cette période, malgré la fermeture des frontières canadiennes et l’introduction de politiques migratoires restreignant l’entrée des ménages réfugiés et demandeurs d’asile, les prix de l’immobilier ont continué de monter en flèche et le coût des loyers est devenu de moins en moins abordable relativement à la stagnation des revenus.

En lieu et place d’assurer des logements décents à la population, on accuse les étranger·ères, ce qui replace ce discours dans une histoire longue du racisme.

Pour les ménages les plus précaires, la flambée des loyers entraîne une intensification du mal-logement. Déjà à l’été 2020, alors que l’immigration est virtuellement inexistante, l’insuffisance de l’action politique pour le droit au logement est manifeste : sur les trottoirs se multiplient les longs cortèges de ménages en attente de visite de logements, les lits et refuges d’urgence pour personnes sans logis sont saturés, les campements de fortune de personnes en situation d’itinérance prolifèrent et sont rapidement démantelés par les autorités publiques.

Un choix politique

La crise du logement repose sur une protection insuffisante des droits des locataires ainsi que sur des processus de gentrification et de financiarisation du logement soutenus par l’État, qui mènent à des hausses abusives de loyer, des évictions frauduleuses, et des rénovictions en série commencées bien avant la pandémie…

La crise du logement que connaît le Québec n’est pas fatale. Elle résulte de décisions politiques successives.

Autrement dit, ce ne sont pas les logements qui manquent, comme en témoignent les nouveaux condos partout fleurissants, mais bien le renforcement des droits des locataires et la construction de logements sociaux pour des logements accessibles à toutes et tous!

Ainsi, la crise du logement que connaît le Québec n’est pas fatale. Elle résulte de décisions politiques successives qui, plutôt que de solutionner de manière pérenne la question du droit au logement, contribuent trop souvent à renforcer l’insuffisance et l’inadéquation de l’offre.

Les conversions de logements locatifs en condos ou en cottages, la prolifération de logements à courte durée de type Airbnb, un cadre législatif et réglementaire peu respecté qui ne parvient pas à protéger suffisamment et adéquatement les locataires ainsi que le sous-financement gouvernemental en matière de réalisation de logements sociaux et communautaires – pour ne nommer que ces exemples – sont autant de lieux qui contribuent à mettre à mal les droits des ménages locataires et leur droit au maintien dans les lieux, ces derniers devant composer avec un marché locatif de moins en moins apte à répondre à leurs besoins.

Les immigrant·es, premières victimes de la crise du logement

Les nouveaux et nouvelles arrivant·es, se retrouvent donc souvent, au début de leurs trajectoires migratoires et résidentielles au Québec, dans un véritable parcours du combattant, qui n’est pas lié à leur statut, mais à la pénurie de logements locatifs, avec un taux d’inoccupation réduit à peau de chagrin dans les quartiers encore identifiés comme abordables.

Cela encourage alors des pratiques intolérables de la part de propriétaires frauduleux et le maintien de taudis insalubres dans la plupart des quartiers d’immigration, payés le plus souvent au prix fort par les familles immigrantes en quête d’un nouveau chez-soi. Non, les ménages issus de l’immigration ne sont pas responsables de la crise du logement. Au contraire, ils en sont souvent les premières victimes.

En tant que territoire d’accueil privilégié, il est primordial que le Québec adopte des politiques d’immigration solidaires.

Le chef du Parti québécois tente de faire porter le chapeau de la crise du logement aux ménages immigrants (qui selon le recensement de 2021 représentent 13,7 % des ménages québécois), ce qui n’est pas seulement erroné, mais aussi préjudiciable dans le présent contexte d’intensification des mobilités internationales, d’appels récurrents à la main-d’œuvre étrangère de la part du provincial comme du fédéral, mais aussi des catastrophes climatiques mondiales.

Dans les prochaines années et décennies, les mouvements migratoires se trouveront accélérés pour de nombreuses personnes contraintes de se déplacer. En tant que territoire d’accueil privilégié, il est primordial que le Québec adopte des politiques d’immigration solidaires, et que son prochain gouvernement prenne ses pleines responsabilités en matière de droit au logement pour toutes ses populations.

Collectif de Recherche et d’ACtion sur l’Habitat (CRACH)
Alessandra Renzi, Professeure agréée en communication, Université Concordia
Catherine Héon Cliche, Coordonnatrice du CRACH et étudiante au doctorat en travail social, UQAM
Chloé Reiser, Chercheuse postdoctorale, Community Housing Canada
Danielle Kerrigan, Candidate au doctorat en urbanisme, Université McGill
David Wachsmuth, Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine, McGill University
Emanuel Guay, Étudiant au doctorat en sociologie, UQAM
Fabien Desage, Enseignant-chercheur en science politique à l’Université de Lille, ancien titulaire de la Chaire d’études sur la France contemporaine du CERIUM (UdeM)
Hélène Bélanger, Professeure en études urbaines, UQAM
Julien Simard, Chercheur postdoctoral en études urbaines et touristiques, UQAM
Louis Gaudreau, Professeur en travail social, UQAM
Marcos Ancelovici, Professeur de sociologie, UQAM
Montserrat Emperador Badimon, Enseignante-chercheuse, Université Lumière Lyon 2/INRS
Pierre Carrere, Étudiant au doctorat en études urbaines, UQAM
Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ)
Renaud Goyer, Chargé de cours au département de sociologie, Université de Montréal
Tamara Vukov, Professeure agrégée, Département de Communication, Université de Montréal
Ted Rutland, Professeur agrégé, Université Concordia
Violaine Jolivet, Professeure en géographie, UdeM

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut