Le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime, siégeait jusqu’à récemment au conseil d’administration de l’Institut pour la démocratie au travail, une organisation qui tente d’affaiblir la capacité des syndicats de négocier. Petit tour d’horizon d’un groupe pour qui démocratie rime avec briseur de grève.
Éric Duhaime a été administrateur de l’Institut pour la démocratie au travail (IDT) de 2014 à 2021. Bien que la plateforme électorale du PCQ ne parle pas de modifier la loi qui entoure les syndicats, les positions tranchées du politicien libertarien concernant les droits des travailleurs et travailleuses à négocier collectivement sont bien connues.
Malgré que les travailleur·euses syndiqué·es gagnent de meilleurs salaires et occupent des emplois plus sécuritaires et équitables, le leader conservateur ne cache pas son désaccord avec le syndicalisme québécois.
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Dans son livre Libérez-nous des syndicats, dont l’avant-propos a été reproduit dans le journal libertarien Le Québécois libre, Duhaime dénonçait le « corporatisme rampant et nuisible » des organisations syndicales. En 2013, dans les pages du Toronto Sun, Duhaime déplorait la défaite du projet de loi C-377, qui aurait imposé aux syndicats de rendre publiques leurs finances internes. Cette règle ne s’appliquerait bien sûr ni aux grandes entreprises ni aux groupes de lobbyistes patronaux.
Éric Duhaime n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Un groupe de pression anti-travailleur·euses
L’IDT affirme n’être ni pour ni contre les syndicats. Il s’opposerait plutôt aux « pouvoirs de dirigeants syndicaux qui peuvent influencer indûment le gouvernement et toucher négativement les Canadiens en général [sic] ».
L’Institut milite pour mettre fin à la « formule Rand », ce principe par lequel tou·tes les employé·es d’une entreprise syndiquée paient des cotisations. Il juge également qu’une partie des cotisations syndicales devraient être données aux employeurs pour qu’ils puissent se payer des avocats en droit du travail.
L’organisme fait aussi pression pour que les finances des syndicats soient divulguées publiquement. L’utilisation par les syndicats de fonds pour le financement de groupes ou causes politiques est un sujet sensible pour eux.
L’IDT réclame la tenue de votes secrets lors des campagnes d’accréditation syndicale ou lorsqu’il y a des votes de grève.
Le choix de briser des grèves
Sur la page de son site Web décrivant ses campagnes passées, l’IDT rapporte l’histoire de « 35 employés d’IKEA [qui] ont exercé leur droit de travailler pendant une grève » et remercie les gens qui ont fait des dons pour aider ces briseurs de grève.
Cette histoire fait référence à un conflit de travail au IKEA de Richmond, en Colombie-Britannique, en 2013 et 2014. Durant ce conflit, qui a duré 527 jours, plus de 300 employé·es ont été mis·es en lock-out par le magasin IKEA. Le conflit s’est soldé par un arbitrage et l’imposition d’une convention collective d’une durée de dix ans.
Les syndiqué·es demandaient le renvoi ou le transfert à un autre magasin des employé·es ayant traversé les lignes de piquetage pour travailler durant le conflit. « Sans avoir fait de sacrifices monétaires, ces employés allaient bénéficier des avancées du comité de négociation », peut-on lire sur le site du syndicat.
Une autre situation évoquée sur le site Web de l’IDT est l’usine Grande-Baie de Rio Tinto Alcan. L’Institut évoque un « comité d’employés » qui cherchait à obtenir un vote secret pour empêcher l’accréditation syndicale des employé·es de maintenance, qui souhaitent rejoindre le syndicat UNIFOR.
L’entreprise a tenté de bloquer la syndicalisation de cette centaine d’employé·es sous prétexte qu’il s’agissait d’une proportion trop petite des travailleur·euses de l’usine. L’accréditation syndicale a finalement été gagnée et une première convention collective a été signée en 2020.
Les activités récentes de l’Institut pour la démocratie au travail ne sont pas connues. Le site Web n’a pas été mis à jour récemment et l’organisme n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.
Aux origines de l’Institut
Selon les lettres patentes de l’IDT, celui-ci a vu le jour en 2011 sous le nom de Coalition for Employee Free Choice (Coalition pour le libre choix des employés). Les trois premiers administrateurs étaient Louis Fortin, Franco Pietro Viti et Raymond Berry.
Louis Fortin est décédé en 2012. Il a été vice-président des ressources humaines pour Bell Helicopter Textron et chargé de cours en relations industrielles à McGill. Il a également été chercheur associé à l’Institut économique de Montréal (IEDM), un think tank libertarien pour lequel Éric Duhaime a déjà travaillé.
En 2011, Louis Fortin publiait une « note économique » pour l’IEDM dénonçant le syndicalisme québécois comme étant une « anomalie qui doit être corrigée ». Cette note, écrite avec le directeur de l’Institut Michel Kelly-Gagnon, défendait le « droit de non-association » et déplorait que nos lois « empêchent systématiquement le recours à [d]es travailleurs de remplacement pendant les conflits de travail ».
C’est probablement le fruit du hasard, mais il faut noter que M. Kelly-Gagnon a été président du Conseil du patronat de 2006 à 2008.
Franco Pietro Viti est un conseiller en management. Aux débuts de l’IDT, il était le PDG de Merit Ontario, une organisation qui représente les entreprises de construction non syndiquées.
Raymond Berry, de Calgary, a travaillé pour la compagnie Old Dutch. En 2009, un conflit éclate autour de la négociation de la convention collective, le litige tournant autour de l’inclusion d’une forme de « formule Rand ». La Commission des relations de travail de l’Alberta a statué en faveur du syndicat.
Une vingtaine d’employé·es qui ne voulaient pas payer de cotisations, dont Raymond Berry faisait partie, ont tenté de contester cette décision devant les tribunaux. « J’ai choisi de traverser la ligne de piquetage pour travailler », peut-on lire dans des documents de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta qui rapportent les propos de M. Berry.
N’ayant jamais fait partie du syndicat et n’ayant pas participé à la grève, il ne considérait pas qu’il devait payer de cotisation. « Je ne considérais pas que devenir un membre du syndicat […] était dans mon intérêt. Je ne voulais pas m’associer avec d’autres dans un syndicat ou supporter leurs activités avec le paiement de cotisations. »
Des patrons qui font de l’éducation populaire
Les administrateurs actuels de l’IDT sont l’ex-syndicaliste devenu complotiste Ken Pereira, Marc Roumy, un agent de bord d’Air Canada et John Mortimer.
John Mortimer s’est joint au conseil d’administration de l’IDT en avril 2021, au même moment où Éric Duhaime quittait ses fonctions. Il est le président de l’Association LabourWatch du Canada. Ce groupe veut « protéger et promouvoir les droits de tous les employés ».
L’association est « particulièrement préoccupée » par les employé·es qui « veulent cesser d’être syndiqués ou encore qu’ils n’aient pas [sic] les mêmes intérêts que les représentants des employés ».
Parmi les membres du conseil d’administration de LabourWatch on retrouve, entre autres, un représentant du Conseil du patronat du Québec (CPQ) et une personne de Merit Ontario. Parmi les groupes membres de l’association, on compte le CPQ, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, le National citizens coalition, Merit Canada et Restaurants Canada.