Gorby le pacifique

La semaine dernière, en la personne de Gorbatchev, disparaissait un morceau de la conscience pacifiste russe… et mondiale.

C’est sous un ciel variable que des milliers de Russes, jeunes et moins jeunes, sont allé·es battre la semelle samedi dernier devant la Maison des syndicats où était exposée la dépouille de l’ancien dirigeant russe Mikhaïl Gorbatchev, dernier chef d’État d’une Union soviétique en pleine implosion lors de son arrivée au pouvoir en 1986.

Une météo étrangement de circonstance, pour ne pas carrément dire criante de symbolisme.

Car, d’une part, pour de nombreux Russes, qu’ils aient connu la vie sous l’URSS ou non, « Gorby » représentait l’ouverture de la chape de plomb soviétique au reste du monde, surtout occidental, et donc ce qu’on percevait – erronément, on le sait aujourd’hui – comme le début de tous les possibles. Avec lui, les murs tombaient, à commencer par celui de Berlin, et les rideaux se levaient. Dans le cas du Rideau de fer, c’était minuit moins une, rongé qu’il était par la rouille qui s’y déposait au fil des petites révolutions qui secouaient les républiques est-européennes sises dans son ombre.

De l’autre, Gorbatchev incarnait un pacifisme qui faisait cruellement défaut à l’empire soviet depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Rappelons qu’un des grands accomplissements de la Révolution bolchévique fut la sortie de la Russie de la Première Guerre mondiale. Puis, sous Staline, et à plus forte raison sous Brejnev, l’URSS s’est lancée tête première dans la Guerre froide, dansant le tango avec l’Occident sans en connaître les pas autant que son adversaire.

Souvenir… d’école primaire

J’ai remarqué depuis la semaine dernière que la mort de Mikhaïl Gorbatchev m’avait secoué et affecté à un point que je trouve encore aujourd’hui un brin consternant.

Je me souviens que dans mon manuel de sciences humaines de sixième année du primaire – on remonte en 1992 –, j’avais trouvé un texte (qui fut ignoré dans le cadre de la classe) intitulé « Gorby le pacifique ». Je me rappelle l’avoir lu à temps perdu.

Je ne me souviens évidemment pas des détails, mais je me rappelle avoir ressenti le choc du contraste entre ce que j’y découvrais et l’image qu’on m’avait montrée jusque-là de Gorbatchev en particulier et de l’URSS en général, dans des médias qui avaient activé leur filtre « Péril rouge ».

Combinées avec mon écoute assidue du Journal de L’Histoire, une émission interactive animée par un jeune Pierre Therrien à Télé-Métropole, ces rencontres avec des connaissances qui transcendaient ce qui m’était ordinairement accessible ont très certainement déclenché quelque chose comme cette insatiable curiosité qui continue de m’habiter. Cela, à l’époque où ce qui se rapprochait le plus de Google étaient les fiches de recherche de la bibliothèque.

Politique, morale et révolution

J’ai entrepris de relire dans le courant de la dernière semaine quelques passages du manifeste-testament politique de Gorbatchev, Le futur du monde global, publié en français chez Flammarion en 2019.

Dans son livre, Gorbatchev revient sur cet épisode aujourd’hui rendu absurdement tabou des négociations sur l’élargissement de l’OTAN. Il aborde aussi la question de cette dissociation de la politique et de la morale avec l’avènement et la consolidation d’un droit international strictement fondé sur des règles – et, avouons-le, largement inefficace.

Mon professeur de droit international public à l’université avait d’ailleurs amorcé le premier cours de la session en nous annonçant que le droit international, de facto, n’existait pas! (Et tant pis pour les 150 $ que m’aura coûté un livre intitulé International Public Law, dont on n’aura finalement parcouru que le tiers…)

« La civilisation humaine est arrivée à un point où les relations et les dépendances réciproques de tous ses éléments ont rendu indispensable une nouvelle politique mondiale. L’ancienne, fondée sur la confrontation – l’affrontement entre États et idéologies –, ne peut appartenir qu’au passé », écrit Gorbatchev.

« Les relations internationales ne doivent pas être modérées selon le principe du droit du plus fort, en se fondant sur des considérations purement pragmatiques, sans tenir compte des facteurs historiques et culturels et sans respecter aucune morale. C’est l’une des leçons principales des décennies précédentes. »

Mikhaïl Gorbatchev

En lisant ça, on se demande beaucoup moins pourquoi tant Poutine que la totalité des chefs d’État occidentaux ont boudé les funérailles de « Gorby le pacifique »!

Mais la pensée politique de Gorbatchev ne saurait se passer de critiques, qui demeurent, cela dit, loin de celles que lui adressent tant les seigneurs de guerre occidentaux que les communistes dogmatiques. Ceux-ci placent sans doute son héritage sur le même échafaud idéologique que celui de Nikita Khrouchtchev, coupable de « révisionnisme » du fait de ses politiques de déstalinisation de l’URSS dans les années 1950.

Car si les horreurs du front russe de la Seconde Guerre mondiale et l’imminence de l’holocauste nucléaire ont en grande partie forgé son pacifisme, Gorbatchev aura été aussi échaudé de toute ambition révolutionnaire par les décennies de purges orchestrées par Petit Père des Peuples et la grande désillusion de l’utopie communiste à la russe – qui aura toutefois par la suite inspiré d’autres régimes totalitaires.

Mais comment concrétiser le « credo d’une nouvelle pensée » pour aborder les relations internationales, pour reprendre l’expression du défunt chef d’État, autrement que par le truchement de nombreuses et nécessaires révolutions?