Richard Martineau ou le racisme qui fait l’autruche
Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, l’islamophobie est bien une forme de racisme, même quand elle se cache sous la « critique de la religion ».
Selon ce qu’argumente Richard Martineau dans de récentes chroniques, l’islamophobie n’existe pas. Au contraire, selon lui, c’est plutôt une lubie des « politiquement corrects » et de naïfs « bien-pensants » qui sont à la merci – voire à la solde – des islamistes.
Pourquoi l’islamophobie ne peut-elle pas exister, pour Martineau? Premièrement, l’Islam n’est pas une « race » mais une religion : on ne saurait être « raciste » envers une religion.
Deuxièmement, parce que bannir la critique d’une religion, ce serait ouvrir la porte à l’intolérable, au retour du blasphème, qui permets aux religions de dicter aux gens quoi penser, de mettre à l’index ce que les différents clercs pourraient considérer comme offensant, obscène… Grosso modo, nous reviendrions à un temps révolu où les superstitions et les croyances archaïques régissaient le monde.
Défendre la neutralité de l’État, pourfendre l’Islam?
Selon cette logique, défendre la séparation de l’Église et de l’État – pilier de nos régimes démocratiques, ouverts et libres – revient à défendre le droit d’agacer, de semoncer, voire de vilipender le pouvoir religieux. La critique d’une religion, même la plus intolérante, se doit d’être tolérée au nom de la démocratie, de la laïcité, etc.
Mais la question se pose : est-ce vraiment l’Islam qui est la principale menace au rubicon sanctifié de la séparation de l’Église et de l’État, le principal écueil à la neutralité de l’État?
Selon ce principe, l’État, les pouvoirs publics, ne doivent pas faire de distinction entre les individus en se basant sur des critères de préférence, qu’ils soient raciaux, nationaux, de genre ou sexuels, etc.
Dans notre contexte québécois, alors que plus en plus de services – qui sont ou devraient être publics – ne sont véritablement accessibles qu’aux plus nantis, ne devrait-on pas se soucier plutôt de la neutralité de l’État vis-à-vis de l’effet corrosif de l’argent? La question se pose d’autant plus que plusieurs partis proposent une privatisation accrue de notre système de santé…
Toutes les religions sont mauvaises, mais l’Islam en particulier
Dans le monde étriqué des Richard Martineau, Mathieu Bock-Côté et compagnie, malgré le fait que le « Califat du Québec » n’a jamais existé – disons-le, il n’existera jamais sauf dans les rêves les plus loufoques des islamophobes les plus déments –, malgré que ce soit un obscurantisme bien catholique, bien de chez nous, qui a gardé le Québec dans l’obscurité pendant de longs siècles, c’est bel et bien la religion musulmane qui est représentée comme étant la plus grande menace à la « survie » de la nation québécoise…
Pour les nouveaux apôtres de l’athéisme anti-islamique, toutes les religions sont également mauvaises, mais l’Islam un peu plus que les autres…
Sans gêne, les tenants de cette posture hypocrite à la Richard Martineau aiment faire remonter leur généalogie intellectuelle à un certain anticléricalisme révolutionnaire ou à l’athéisme des Lumières, héritage de l’époque révolutionnaire française. Mais là où les révolutionnaires français cherchaient à détrôner une structure tyrannique et absolutiste, par le biais de leur « chasse aux Islamistes », les Richard Martineau de ce monde servent de couvert aux bandits en costard cravate, le vrai pouvoir absolutiste à l’ère actuelle.
Un racisme, sans race?
Clarifions deux choses : il n’y a aucune race biologique, les races n’existent pas. Pourtant le racisme le plus infâme, le plus crapuleux continue de faire des ravages. Tout comme le racisme se perpétue sur le mythe de l’existence de prétendues « races humaines », le catalyseur de l’islamophobie est la désinformation qui promeut une image des musulman·es et de leur religion comme étant fondamentalement incompatibles avec les « valeurs » démocratiques, occidentales…
Mais est-ce vraiment le cas? Ou est-ce que l’épouvantail de l’Islam n’agirait pas comme le parfait camouflage permettant à un discours obscurantiste et haineux de se faire passer pour raison et lumière?
Dans le monde d’un islamophobe, pour un Alexandre Bissonnette ou un Baruch Goldstein, le fait que les musulman·es soient une « race » ou non n’est pas important. Tout comme au siècle passé, pour les antisémites de tous poils, le fait que les juif·ves constituaient ou non une « race » importait peu ou carrément pas du tout.
Tout comme les victimes de l’attentat terroriste de la mosquée de Québec, les millions de victimes de l’antisémitisme, fléau millénaire, n’étaient pas tous issues de la même « race ». Est-ce que le fait qu’il y a des juif·ves issu·es de « races » différentes saurait confirmer l’inexistence de l’antisémitisme? Bien sûr que non!
Du judéo-bolchévisme à l’islamo-gauchisme
Selon le pouvoir nazi et la plupart des fascistes de l’époque précédant la Seconde Guerre mondiale, la grande participation des juif·ves dans les mouvances communistes semblait justifier leur ostracisation. D’autre part, si le communisme et ses adhérent·es méritaient une réponse aussi virulente, c’était parce qu’en réalité, le tout n’était qu’une cabale juive. Les juif·ves étaient, comme on le sait, des agent·es doubles prêt·es à subvertir, à tout moment, la nation de l’intérieur, la vraie menace à la démocratie et à l’État de droit.
Dans son livre A Spectre Haunting Europe, Paul Hanebrink démontre qu’il n’y avait rien de logique ou de naturel au mythe du judéo-bolchévisme. Au contraire, c’était un pot-pourri de plusieurs mythes antisémites, tous plus outranciers les uns que les autres. Une idéologie, un système d’idées malléable selon les époques et les conjonctures politiques.
Aujourd’hui, tout comme l’antisémitisme, l’islamophobie, mobilise des clichés orientalistes et racistes sur les musulman·es : indignes de confiance, envahisseur·euses, machistes ou soumises, intolérant·es et dangereux·ses, etc.
Le discours islamophobe est aussi malléable selon les contextes : l’insécurité dans nos quartiers serait la faute des musulman·es et, a contrario, la rigidité des normes islamiques serait une menace à notre façon de vivre, à nos mœurs démocratiques.
Le juif ou musulman de Schrödinger, l’homme de paille des racistes d’hier comme aujourd’hui, est toujours fautif, même quand il ne l’est pas.
À l’époque actuelle, on utilise beaucoup de mots pour justifier et camoufler des discours qui n’ont cessé de se recycler depuis des siècles et dont l’apothéose a été le déferlement de haine de la Seconde Guerre mondiale. Plus que jamais, il faut garder la tête froide et se dire : si ça nage comme un raciste, si ça cancane comme un raciste, c’est qu’il s’agit sans doute d’un raciste!