Habiter la crise du logement
Il y a deux ans, je participais à l’assemblée générale de ma coopérative d’habitation et j’ai dit un gros mot.
On discutait de la politique de sélection des membres et spécifiquement de l’attribution des logements. L’argument qui dominait l’assemblée c’était qu’un logement de deux chambres devait accueillir un adulte et un enfant ou deux adultes et un enfant, bref une famille nucléaire. J’ai pris la parole et j’ai dit « c’est hétérosexiste ».
Consternation et scandale dans la foule, on se rue vers le micro pour dire « je ne suis pas homophobe, on accueille toutes les familles, ça existe des familles homoparentales ». Mais on veut surtout des familles. Des familles nucléaires.
Pendant ce temps, aucune priorité n’est accordée aux personnes handicapées quand un des rares appartements adaptés se libère.
Dit comme ça, ça peut avoir l’air choquant, mais quand les politicien·nes font du millage sur les familles, sur la classe moyenne, sur l’accès à la propriété, c’est aussi ce qu’illes disent implicitement.
Quand illes promettent des milliards $ en logement social et abordable, est-ce qu’on en profite vraiment, ou est-ce que ce ne sont que des subventions à l’industrie immobilière permettant aussi à des couples hétéros de mettre leur mise de fonds de côté?
La semaine dernière, il y avait le Sommet de l’habitation qui se tenait à Laval. Une initiative des associations de maire·sses pour discuter de ce qui était cadré comme une crise de « l’abordabilité » et mettre de la pression sur les partis avant le déclenchement des élections. Ce que les municipalités demandent pour l’essentiel, c’est plus de pouvoir de taxation, plus de leviers fiscaux et plus de financement.
En soi, on veut toujours plus de logements sociaux, mais il y a quelque chose qui cloche quand on en fait uniquement une affaire de taxes et de bâtisse.
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Une mixité de façade
Les gens qui ont besoin et qui bénéficient du logement social ne forment pas une masse homogène d’indigent·es à enfermer.
Construire des boîtes à pauvres sur des terrains vagues, ça ne sert qu’à se donner bonne conscience. On parle de mixité sociale quand on réserve quelques étages à une coopérative dans un mégaprojet de condos, mais si cette mixité sert bien le discours politique, sert-elle les personnes concernées? Plus encore, existe-t-il vraiment une telle mixité?
J’en reviens à mon assemblée générale. Dans une coopérative, ce sont les membres qui décident des critères de sélection. La demande est forte, alors on passe pas mal de candidat·es en entrevue pour déterminer qui a le meilleur profil. On va favoriser des gens qui ont une expérience d’implication communautaire et qui partagent les valeurs coopératives. Ce sont nos voisin·es après tout, on favorise la bonne entente et… l’homogénéité.
C’est une vérité de La Palice : les blanc·hes, francophones, éduquée·es et impliqué·es socialement ont plus de chance d’être sélectionné·es.
Alors même avec le Règlement pour une métropole mixte, dit « 20/20/20 », on se retrouve avec une population somme toute homogène sur le plan de l’éducation, des capacités, de la langue, de la race et de l’organisation familiale.
L’accessibilité au-delà du loyer
L’accès au logement – et sa crise actuelle – est généralement entendu du côté de l’abordabilité. C’est une question de cash : si les loyers sont plus bas, les gens vont pouvoir se loger et le problème est réglé. Mais ce n’est qu’une partie du problème et je pense que la communauté LGBTQIA2S+ est bien positionnée pour le comprendre.
Dans un rapport de 2017 commandé par le Conseil québécois LGBT, Jade Almeida s’est penchée sur le racisme systémique vécu par les personnes de la communauté. Elle y révèle nombre de pratiques illégales qui laissent peu de recours aux victimes.
Un exemple en particulier me frappe : celui d’une femme noire qui est l’objet d’une agression lesbophobe par son propriétaire. Elle est avec ses deux colocs blanches, aussi lesbiennes, mais l’agresseur prend la peine de les exclure de son propos : il se permet d’être lesbophobe par racisme. Elle a dû déménager et sa plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse n’a connu aucune suite.
Racisme, homophobie, capacitisme et âgisme sont autant de freins à l’accès au logement qui ne sont pas pris en compte dans les politiques actuelles.
Et quand ces facteurs se rencontrent, ils forment des barrières souvent infranchissables. Pour améliorer leur qualité de vie, celleux qui le peuvent – les plus privilégié·es – retournent simplement dans le placard.
Pour du logement adapté aux besoins
Parce que le logement, ce n’est pas seulement des bâtisses, il faut aussi réfléchir la question des soins, un enjeu crucial pour les ainé·es et pour les personnes handicapées et trans.
Ça peut sembler anodin, mais une personne trans qui aurait bénéficié d’une chirurgie génitale aura besoin de s’administrer régulièrement des hormones sous peine de développer des problèmes de santé graves. Ceux-ci peuvent aller de problèmes digestifs à l’ostéoporose, qui est un facteur de risque supplémentaire en cas de chute accidentelle, par exemple.
Mais quand les problèmes cognitifs comme l’Alzheimer ou la démence s’en mêlent, ça peut devenir un vrai casse-tête. Quels protocoles mettre en place pour accommoder une personne trans vieillissante qui retransitionne ou qui est confuse sur son identité de genre? À ma connaissance, bien que le chercheur Alexandre Baril s’y soit intéressé dans une étude récente, ces cas sont gérés à la pièce par des personnes cis dans les résidences pour ainé·es (RPA).
Dans un contexte ou la Ville de Montréal demande avec raison un moratoire sur les conversions de RPA, je crois qu’il est important de se rappeler qu’il y a de personnes à l’intérieur des murs.
Les besoins communautaires sont nombreux et variés, on ne peut pas se permettre de simplement tolérer le peu qu’on a et espérer que ça sera mieux quand les cishets vont s’éduquer.
Plutôt qu’une façade de mixité sociale, pourquoi ne pas investir dans nos communautés et développer des ressources dédiées qui répondent aux besoins de gens?