Vieillir au féminin
Le web s’enflamme depuis quelques jours à la suite du congédiement de la cheffe d’antenne de CTV, Lisa Laflamme. Toute la teneur de l’affaire n’a pas été dévoilée, mais on sait que la chevelure argentée de la journaliste aurait contribué à décider ses patrons à résilier son contrat.
Qu’est-ce que ce congédiement révèle sur le vieillissement des femmes dans l’univers médiatique? Les femmes ont-elles le droit de vieillir à l’écran?
Injustice dans l’obsolescence
On sait déjà qu’au cinéma, plusieurs actrices peinent à décrocher des premiers rôles après trente ou quarante ans. Les femmes ont peu de temps pour correspondre aux critères physiques (aux fantasmes) de la jeune première, alors que leurs collègues masculins n’ont aucune difficulté à rester des têtes d’affiche.
Pour sauver le monde sur les écrans de nos salles de cinéma, Daniel Craig, Tom Cruise ou Robert Downey Jr. continuent inlassablement de pirouetter et d’accomplir tout un registre de prouesses physiques et de cabrioles aussi héroïques qu’improbables. Et leurs personnages demeurent des séducteurs invétérés malgré leur cinquantaine avancée!
En parallèle, il semble qu’il soit impensable qu’une femme du milieu des médias comme Lisa Laflamme ose continuer à travailler si sa production de mélanine fluctue. Rappelons qu’elle a pourtant été maintes fois récompensée par son milieu pour son savoir-faire journalistique. Tristement, parce qu’elles ont choisi un métier dans le domaine de l’image, il semblerait que l’on s’arroge le droit de juger les figures publiques féminines selon le degré de conformité de leurs corps aux exigences sociales.
N’oublions pas que, dans plusieurs milieux professionnels, les femmes doivent encore déployer des quantités éreintantes d’efforts, souvent bénévoles ou dans l’ombre, pour prouver leur expertise.
Une fois le haut de l’échelle enfin atteint, peut-on rêver que ces travailleuses puissent faire valoir leur expérience durement acquise comme un atout, et non comme un signe avant-coureur de fatigue ou de faiblesse?
Comme si les femmes devaient trimer dur pendant la moitié de leur carrière pour attester de leur légitimité, et ensuite passer le reste à démontrer qu’elles ne sont pas obsolètes.
Miroir, fais-je suffisamment d’efforts pour être considérée « belle »?
Mais qu’est-ce qui choque, au juste, dans l’idée d’une femme grisonnante en position de pouvoir? C’est qu’elles ne souscrivent pas à l’idée qu’on se fait des « efforts » qu’une femme doit accomplir pour se rendre attirante selon les stéréotypes de beauté.
Certains esprits fermés croient que ces femmes ne prendraient pas « soin d’elles-mêmes », seraient coupables d’un manque de rigueur ou d’une forme de négligence. Et nous sommes prompts à associer mérites et efforts.
Mais sommes-nous autant à l’affût des micro-signes de vieillissement des hommes médiatisés? Je ne vois personne déchirer sa chemise d’indignation devant la chevelure aussi grise que savamment coiffée du chef d’antenne Michel Bherer. Idem pour le présentateur d’expérience Patrice Roy, dont les lunettes possèdent même leur propre compte Twitter humoristique.
Ce profil (qui n’est pas géré par Roy lui-même) se veut un clin d’œil à l’habitude qu’il a de les agiter lors de ses discussions en ondes. Au lieu de voir en ses lunettes un signe d’usure oculaire qui serait – pente fatale – un présage de la retraite du célèbre journaliste, des gens y ont plutôt trouvé une manière de lui rendre hommage en se moquant gentiment.
Parce qu’il porte des lunettes pour remédier à son problème de vue, Patrice Roy, lui, prend soin de lui, cela va de soi. Et, en prime, ça lui donne un air sérieux, légitime.
Repenser la maturité
Dans le raz-de-marée de soutien pour Lisa Laflamme, plusieurs en profitent pour réitérer qu’elle est magnifique avec ses cheveux gris. La compagnie de shampoings Dove a même créé le mot-clic #keepthegray pour affirmer son support à la journaliste.
Comprenez-moi bien, je trouve aussi que sa chevelure lui va à ravir. Seulement, j’ai un peu de difficulté avec l’idée de courir à la rescousse d’une femme que l’on a réduite à son physique… à l’aide de commentaires sur son apparence physique. Cela me paraît contreproductif.
Au fond, le débat n’est pas « Lisa Laflamme est-elle belle? » C’est toute notre conception de la maturité des femmes de carrière qu’il faut repenser.
En commençant peut-être avec les cheveux non teints, mais en n’oubliant pas l’ensemble de ce qui constitue une personnalité complexe dotée d’aptitudes professionnelles.
Notre patrimoine médiatique et culturel reproduit depuis longtemps notre tendance à antagoniser les femmes plus âgées et influentes. Dans nos fictions comme dans la réalité, une femme mature en position d’autorité est plus à risque d’être vue comme une tortionnaire lorsqu’elle adopte des comportements que l’on considère comme des qualités chez les hommes. Les qualificatifs comme « meneur », « leader » ou « ambitieux » ont tôt fait de se transformer en « sévère », « Germaine », « carriériste » pour décrire une dirigeante.
Il faut précisément remettre en question cette manière de percevoir la rigueur et la compétence au féminin.
Vivre de passion
Au final, celle qui devrait faire un peu plus d’efforts pour masquer ses cheveux gris, c’est bien cette vieille idéologie patronale sexiste.
Et puis, il ne faudrait pas oublier que tout le monde ne vise pas la retraite à tout prix. Plusieurs vivent de stimulation et d’action et, tant que la santé est de la partie, n’aspirent pas à quitter leur milieu de travail parce que la soixantaine est à leur porte. Saluons le fait de se sentir encore stimulé·e par sa carrière après de nombreuses années, et cessons de pousser vers la porte les passionné·es.
Avec la campagne électorale à nos portes, profitons-en pour surveiller la manière dont les politiciennes seront décrites dans les médias et gardons un œil critique face à la valeur des arguments qui risquent d’être mis de l’avant pour les discréditer.