Après deux ans et demi de grand n’importe quoi face à la crise sanitaire, le gouvernement Legault aura bel et bien réussi à diffuser l’idée selon laquelle la pandémie était « terminée ». Dans ma chronique précédente, vous pouviez lire que le nombre de morts du virus, jusqu’à maintenant en 2022, dépasse déjà ceux de toute l’année 2021, du moins au Québec. Le risque sanitaire est donc loin d’être nul, malgré le zeitgeist du moment.
Mais comment a-t-on pu en arriver là, dans ce régime de post-vérité où la dangerosité perçue du virus est modulée par le pouvoir en fonction d’objectifs relevant purement de l’image médiatico-politique? Comment nos rapports au risque peuvent-ils être autant brouillés et confus, au moment même où diverses crises prévisibles se déchaînent simultanément?
Les mensonges et le profit
En fait, il faut poser la question autrement. Nous ne sommes donc pas arrivé·es là, nous y sommes déjà depuis longtemps. Les cadres des compagnies pétrolières savent depuis au moins 50 ans que nous nous dirigeons vers une catastrophe climatique en raison de leurs activités extractivistes.
Plus près de nous, la fonderie Horne n’est qu’un exemple de tromperie parmi tant d’autres : 88 autres entreprises québécoises bénéficient d’exemptions en matière de pollution. Au pays de l’amiantose et des luttes syndicales contre la mort prématurée de travailleur·euses, il est étonnant que ça ne choque pas davantage. Notre mémoire a été volée par le présent perpétuel de la télé.
Il faut plutôt regarder en face la facilité avec laquelle l’assemblage capitaliste au pouvoir (fonctionnaires, politicien·nes, scientifiques inféodé·es à l’État et au privé, entreprises, organismes de régulation, organisations parapubliques, fonds d’investissement, publicitaires, etc.) expose les personnes et leurs corps à des risques létaux, en cachette, en faux-fuyants, en lâches.
Le culte du profit réclame des sacrifices humains et non humains.
Il serait naïf de prétendre le contraire, mais les figures charismatiques qui animent ce culte morbide n’ont évidemment pas la gentillesse de nous le dire clairement, d’où la confusion de certaines personnes devant les intentions des « décideurs ».
Le rassurisme des décideurs
On veut nous faire croire que l’enjeu à discuter autour de la pollution se situe dans les régulations, dans les normes, dans la négociation, dans la recherche « civilisée » de seuils acceptables pour que, d’un côté, les entreprises puissent continuer leurs activités sordides tout en ne tuant « pas trop ». A-t-on évoqué la seule option sensée du point de vue de la santé sociale et environnementale, soit de fermer la fonderie Horne? De cesser d’émettre de tels polluants? D’arrêter de produire des niaiseries? De concentrer nos énergies, dans tous les sens du terme?
Semblablement, on fait naïvement le jeu de ces personnages qui hallucinent complètement en acceptant – prenons un moment d’arrêt – de même discuter de la possibilité d’un troisième lien à Québec.
La posture dite rassuriste, c’est donc celle du pouvoir, et ce depuis les tréfonds du 19e siècle : tout va bien, circulez, on pollue un peu, mais ça va.
Manchester est noircie de suie, mais ce n’est pas grave; quelques morts pandémiques c’est cool; Exxon Valdez, bah; on va pouvoir « s’adapter » aux changements climatiques tout en maintenant le régime actuel et autres âneries. La bourgeoisie est aux commandes, faites-lui confiance.
Ça n’empêchera pas le Mexique ou l’Europe de l’Ouest de manquer d’eau, les personnes âgées au Royaume-Uni de mourir de chaud, de froid ou de la COVID-19, Miami d’être inondée en grande partie, et j’en passe.
Comme le dit l’économiste Umair Haque, « the plan is there is no plan » (« le plan, c’est qu’il n’y a pas de plan »).
L’alarmisme timide
Justement, les alarmistes, autant pour la COVID-19 que pour la pollution, réclament généralement un plan aux « décideurs » : faites quelque chose, sapristi! Levez-vous de vos chaises, convainquez cette entreprise de moins polluer, nos enfants sont malades, vous ne pourriez pas avoir un peu d’empathie! Mettez donc des filtres HEPA dans les écoles!
Sauf que cette « alarme », trop douce, qu’on entend souvent dans la bouche des scientifiques, est encore une fois basée sur une croyance aveugle en la volonté et la capacité de l’État de régler les problèmes qu’il a créé avec ses potes de la business. C’est ne pas comprendre à qui on a affaire : des sociopathes.
Le défaitisme
C’est pourquoi il faut, selon moi, une certaine dose de « défaitisme » face aux acteurs politico-institutionnels qui nous gouvernent. Il faut partir avec l’hypothèse assez solide qu’ils ne feront rien. Rien. Ou peut-être des micro-trucs pour faire plaisir à la populace, qui, quand même, n’est pas aussi stupide qu’on pourrait le croire, mais qui apprécie plus que tout l’acte sécurisant de retourner dans le confort et l’indifférence à la moindre occasion.
Mais attention. Certain·es défaitistes diront que les catastrophes que nous vivons sont la manifestation des traits profonds d’une certaine « nature humaine » : voilà, la destruction des systèmes supportant la vie serait la preuve de l’égoïsme inné des humain·es, de leur anthropocentrisme, de leur violence incontrôlée; quel gâchis que cette espèce, faites-la disparaître, tant qu’à ça! Vous connaissez la chanson.
Or, comme l’anthropologue David Graeber Graeber et l’archéologue David Wengrow le démontrent avec brio dans le livre Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, ce ne sont là que des discours fabulés ne prenant pas en compte les réalités anthropologiques empiriques et les expressions concrètes des multiples sociétés humaines à travers le monde et l’histoire.
Dans le cas qui nous intéresse, il faut donc rappeler que l’esprit du capitalisme (extraire, détruire, tuer, accumuler, hiérarchiser) n’est pas la nature humaine.
C’est seulement une forme parmi d’autres de rapport au monde que certaines personnes et certains groupes ont développé avec une ardeur incroyable dans le but d’accumuler des richesses virtuelles ou réelles et donc du pouvoir, en se basant sur l’esclavage réel et salarial. Point.
Le réalisme créatif
Bref, entre les mensonges des capitalistes, le rassurisme de l’État, l’alarmisme soft des scientifiques et l’anthropologie erronée des défaitistes, c’est à croire que rien ne pourra changer, jamais.
Selon moi, la seule posture actuellement valable, qui mérite d’être fouillée, réfléchie et mise en action, est le réalisme créatif. L’effondrement est là, organisons-nous et cessons de perdre notre temps en baisant la main du roi Capital, qui n’a que faire des corps meurtris, des cadavres par millions et de l’extinction de la majorité des espèces vivantes sur notre caillou cosmique.