
Baisser les impôts pour compenser l’inflation, une mesure qui manque sa cible?
Les baisses d’impôt ne seraient pas une mesure efficace pour combattre les effets de l’inflation.
Trois des cinq principaux partis provinciaux proposent de baisser les impôts pour réduire l’effet de l’inflation sur les ménages. Ces mesures profiteront toutefois principalement aux mieux nantis et seraient mal ciblées pour faire face à la hausse du coût de la vie.
En marge du dévoilement du rapport préélectoral sur l’état des finances du Québec, lundi, le ministre des Finances Éric Girard a annoncé que son parti réduira les impôts des individus s’il est reporté au pouvoir.
Cette mesure, dont les détails restent à annoncer, fait de la Coalition avenir Québec (CAQ) le troisième grand parti à promettre des baisses d’impôt pour compenser l’inflation, après le Parti conservateur (PCQ) et le Parti libéral (PLQ). Ces mesures ont été qualifiées d’« irresponsables […] alors que nos services publics sont en lambeaux » par la porte-parole de Québec solidaire en matière de finances, Ruba Ghazal. Le Parti québécois (PQ) ne s’est pour l’instant pas positionné sur le sujet.
Les propositions connues à ce jour consistent principalement en une réduction de l’impôt payé dans les deux premiers paliers d’impositions, que les libéraux souhaitent baisser de 1,5 % et les conservateurs de 2 %, selon leurs plateformes respectives.
Le Parti libéral propose toutefois de hausser l’impôt des individus gagnant plus de 300 000 $, ce qui viendrait récupérer une partie des sommes et porter le coût de la mesure à 2 milliards $ annuellement.
Les conservateurs proposent en plus de relever le montant personnel de base, soit le seuil de revenu pour lequel une personne ne paie pas d’impôt, pour l’amener de 15 728 $ à 20 000 $. Le coût de la proposition conservatrice n’a pas été évalué par l’équipe d’Éric Duhaime. Mais il est nécessairement beaucoup plus élevé que ce qui est proposé par les libéraux, observe le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Raphaël Langevin.
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Une mesure mal ciblée
« Les ménages de deux personnes et plus ayant un faible revenu sont ceux qui sont le plus touchés par l’inflation et ce sont ceux qui profiteront le moins de telles baisses d’impôt », prévient l’économiste. Le système d’impôt étant progressif (chaque tranche de revenu est de plus en en plus imposée [voir encadré]), les baisses dans un palier d’imposition profitent principalement aux personnes qui gagnent au-dessus de celui-ci, explique-t-il.
Ainsi, le deuxième palier d’imposition allant jusqu’à 92 000 $, ce sont seulement les individus gagnant au-delà de montant qui pourront bénéficier de l’entièreté de la baisse proposée par le PLQ et le PCQ, par exemple 1 200 $ dans la proposition libérale, précise le chercheur. Toutefois, une personne gagnant un salaire de 50 000 $, soit le salaire médian chez les 25 à 54 ans, n’aurait que 500 $ et une personne gagnant 20 000 $ n’aurait presque rien, illustre encore Raphaël Langevin.
« Est-ce que ces baisses d’impôt peuvent être utiles pour affronter l’inflation actuelle? Elles peuvent aider certains ménages, mais leur utilité première n’est certainement pas de donner plus de marge de manœuvre à ceux qui en ont le plus besoin », résume-t-il.
La hausse du montant personnel de base proposée par les conservateurs est à priori beaucoup plus bénéfique, remarque Raphaël Langevin. « Ce que ça implique, c’est que les personnes gagnant moins de 20 000 $ ne paieraient pas d’impôt du tout. Ça pourrait vraiment aider », explique-t-il. Les personnes moins nanties ne payant toutefois déjà que très peu d’impôt, l’impact d’une telle mesure serait toutefois limité, nuance-t-il.
Risquer la santé des finances publiques
Les trois partis justifient la capacité de la province à baisser les impôts en se basant sur la situation économique relativement bonne, quoiqu’incertaine, décrite entre autres dans le rapport préélectoral produit par le ministère des Finances et analysé par la Vérificatrice générale. Une conclusion qui pourrait s’avérer coûteuse pour les années à venir, selon Raphaël Langevin.
« Le même scénario s’est déroulé en 2002-2003, quand le PQ bénéficiait d’une longue période de très forte croissance économique. Ils en ont profité pour accorder une réduction d’impôt de 3,5 milliards $ sur deux ans. Un cadeau aux contribuables qui a créé une partie des déficits des années subséquentes », rappelle-t-il.
Agir sur les salaires plutôt que sur l’impôt
De la même manière, les baisses d’impôt promises par les grands partis risqueraient d’empêcher le prochain gouvernement de bonifier les salaires de la fonction publique en créant un trou dans les finances de la province, rappelle Raphaël Langevin.
« L’inflation hausse les revenus de l’État, mais crée naturellement des demandes pour de meilleurs salaires. En créant artificiellement un trou dans les finances publiques, le gouvernement se donnerait un argument de négociation pour ne pas octroyer de meilleurs salaires », prévient-il.
Selon lui, pour aider la population à faire face à l’inflation, le gouvernement devrait justement aller dans la direction contraire et tenter d’agir sur les revenus, notamment en augmentant le salaire des employé·es du secteur public ainsi que le salaire minimum.
L’impôt progressif
Le système d’impôt du Québec, comme celui du Canada, est progressif. C’est-à-dire que tous les contribuables paient la même part d’impôt pour chacune des tranches de leur revenu et que chaque nouvelle tranche supérieure est plus imposée que la précédente.
Ainsi, en 2021, l’ensemble des Québécois·es n’ont payé aucun impôt sur les premiers 15 728 $ de leur revenu. Ensuite, pour chaque dollar gagné entre 15 729 $ et 35 000 $, les contribuables ont payé 15 ¢; puis 20 ¢ pour leurs revenus entre 35 000 $ et 90 200 $, et ainsi de suite.