Pas de parade? Pas de problème
J’habite à côté du Village. Je dis à côté, mais c’est plus une enclave de condos et de coopératives d’habitation; une réminiscence post-industrielle du Faubourg à M’lasse coincée au sud de René-Lévesque. Comme tous les événements avaient été déplacés au stade olympique, ça a été surprenamment tranquille pour le grand retour de la Pride cette année. Je n’y suis pas allée.
Honnêtement, je n’y vais plus depuis que je me suis retrouvée sur le bord d’une clôture à agiter un petit drapeau arc-en-ciel étampé avec le logo de Winners.
Une mise en scène marchande de mon « identité ». Un paquet de référents culturels auxquels je suis exposée pour la première fois par leur imitation capitaliste rose. Un ersatz de communauté.
C’était en 2011, je pense – la dernière année où j’ai voté.
Mais cette fois, la parade a été annulée et les politicien·nes qui voulaient faire du kodak sont fâché·es. Ça prend une enquête – confiée au type qui avait réagi à une attaque raciste et transphobe des agents de la STM en soulignant la complexité de leur travail (merci @2fxfslematin pour le rappel).
Il manquait de personnel de sécurité apparemment. Pas pour nous, évidemment; pour les commanditaires et les « allié·es ». Pour assurer le bon déroulement du spectacle.
Si tu aimes les hormones, tape des mains
Nous, on a marché pareil. Sécurité ou pas, on a passé deux jours à marcher, à crier, à chanter.
La veille du défilé, il y avait la marche trans annuelle. Apparemment, personne n’avait organisé grand-chose parce que le 25 juillet, Celeste Trianon du Centre de lutte contre l’oppression des genres me demandait si je savais qui l’organisait cette année. Le 30, elle annonçait l’événement pour la semaine suivante. La marche avait des bénévoles, des discours, un itinéraire, de l’eau, des masques et de la pizza végane gratuite. Presque tout le monde portait le masque.
En fait, Celeste a fait plus d’effort pour notre sécurité que les agents fantômes de Fierté Montréal ne l’auraient fait.
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Tout le monde déteste la police
La parade a été annulée, mais il y a eu une marche spontanée et @blush.party a annoncé un pique-nique lesbien au parc Lafontaine sur Instagram. Plus beau encore, l’irréductible char d’Afro Pride s’est mis en route malgré l’avis de Fierté Montréal, dont le directeur général demandait de ne pas se rassembler dans un tweet maintenant supprimé.
Les rues du Village étaient pleines de fêtard·es que les gens sur les terrasses bondées encourageaient en applaudissant. Les quelques averses ne sont pas parvenues à rafraîchir notre îlot de chaleur surpeuplé.
This is a march, not a parade
J’adore les fêtes. J’aime les paillettes et les costumes, les pompons d’À pieds levés et les sets carrés du Club Bolo. Pour les membres de la communauté LGBTQIA2S+, juste avoir du fun en public c’est politique. Ce n’est pas une prise de position abstraite, c’est une réalité qu’on vit.
Mais si la condition de notre célébration, c’est qu’elle soit mise en marché dans le cadre d’un festival, on renonce à exister pour nous-mêmes. C’est comme ça que Tourisme Montréal en vient à parler de la « communauté » en termes de nuitées réservées dans les hôtels.
La communauté, ce sont de vraies personnes qui travaillent, qui luttent et qui vivent ensemble. Elle est faite de liens d’amitié, d’amour, de chicanes et d’une culture vivante.
On est combien de personnes blanches queers à ne connaître la ballroom culture qu’à travers le documentaire de Jennie Livingston, Paris is Burning (1991)? Pourtant, à la fin juillet s’est tenu un grand bal convoqué par nulle autre qu’Elle Barbara, mother of House of Barbara. Entièrement dédiée à la mémoire des militant·es qui ont perturbé la 5e Conférence internationale sur le SIDA en 1989 à Montréal, cette célébration a permis à des artistes de mettre en scène leur talent devant un public nombreux au beau milieu du parc Charles-S. Campbell, à un jet de pierre de Sainte-Catherine.
Ce défilé-là non plus n’a pas été annulé.
À nous la rue
Parce que nos cultures queers continuent de foisonner, elles résistent et s’adaptent pour revendiquer l’espace qu’on leur refuse. Que ce soit sous le viaduc Van Horne, dans un parc ou dans la rue.
Au-delà d’une critique de la marchandisation de nos identités, il y a lieu de se demander ce que rapportent vraiment les politiques de respectabilité mises de l’avant par les grandes organisations LGBTQIA2S+ et surtout à qui elles coûtent le plus.
Notre histoire en est une d’exclusion au profit de cette respectabilité.
Les personnes trans et non conformes dans le genre, les lesbiennes, les personnes bisexuelles, les personnes handicapées, les personnes séropositives, les travailleuse·eurs du sexe, les personnes autochtones, les immigrant·es et les personnes racisées ont payé et payent encore le prix de cette exclusion. Rien de surprenant que ce soit elleux qui prennent les devants pour faire vivre leur culture en dehors et en parallèle de la grand-messe de la Fierté.
Pour moi, l’annulation de la parade aura fait voir ce qui se cache derrière le voile de l’événement touristique d’envergure internationale : des personnes trans dans la rue, un défilé mené par des membres de la communauté noire, des lesbiennes dans un parc. Bref, une communauté.