De l’Ukraine à Gaza : qui a le droit de se défendre?

LETTRE D’OPINION | Le rythme des tambours de guerre est le même, en Russie comme en Israël, ce ne sont que les batteurs qui changent. Mais tandis que le gouvernement remue ciel et terre pour apporter un soutien à la résistance ukrainienne, elle nie ce même droit au peuple palestinien.

Le 5 août dernier, l’État israélien lançait pour la deuxième fois en un peu plus d’un an une offensive militaire contre la bande de Gaza. L’opération militaire nommée – non de manière ironique – « aube naissante » aura en l’espace de trois jours coûté la vie à 44 Palestinien·nes, dont 19 enfants.

Depuis quelques années, produit de l’affirmation décomplexée du projet nationaliste, suprémaciste juif et profondément raciste de Benjamin Nantenyahou et son parti, la brutalisation de la société israélienne semble s’accélérer à une vitesse vertigineuse.

Cette brutalité se déploie par le biais de la mise en place de lois de plus en plus restrictives contre la population palestinienne à l’intérieur des frontières d’Israël et à Jérusalem-Est, par le durcissement de la politique d’occupation militaire au-delà de la « ligne verte » et par le blocus de Gaza, le tout couronné par un discours qui nie l’existence même du fait palestinien.

Les bombes ne tombent pas sur des peuples qui n’existent pas

Aux yeux des porte-voix de la « nouvelle droite » israélienne – dont les idées ne sont pas vraiment si nouvelles que ça – le peuple palestinien n’en est pas un, mais plutôt une fabulation, fabriquée de toutes pièces par certaines élites arabes pour « nuire » à l’avènement d’un « foyer juif » en Israël.

Un argument qui fait écho à des arguments que nous avons entendus ailleurs… notamment dans la bouche des représentants du Kremlin à propos de l’Ukraine.

Palestinien·nes comme Ukrainien·nes, du point de vue de leurs plus ardents pourfendeurs, n’ont pas le droit au respect ni à l’autodétermination, ni même le droit de se revendiquer comme une entité à part entière, un « peuple », puisque leur existence même est une invention, un mensonge. Selon ce récit, la Palestine n’aurait jamais existé et l’existence de l’Ukraine est une aberration historique.

Des islamistes aux nazis

Non seulement ces « peuples » n’ont pas la même « existence », une « vraie existence », que les Israéliens et les Russes, mais quand les Ukrainien·nes et les Palestinien·nes existent dans ces discours bellicistes, ce sont des « terroristes », des « nazis » pour les premiers et des « islamistes » pour les seconds.

L’imposition du blocus inhumain de Gaza, l’anéantissement de Marioupol, les frappes contre des établissements civils, la destruction d’hôpitaux, d’antennes publiques, de la seule centrale électrique de Gaza, etc. peuvent alors se justifier facilement! Dans les deux discours, israélien comme russe, « l’ennemi » dupé et à la solde d’éléments extrémistes ne mérite ni respect ni quartiers.

C’est avec ce même son de cloche que les pires exactions peuvent se justifier auprès du public national. Et quand l’infâme se pointe le bout du nez, quand une atrocité d’une telle envergure à été commise qu’on ne saurait la justifier… on la nie! Les corps d’innocents jaillissant sur les rues de Bucha sont des « acteurs », le meurtre de la journaliste phare d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, une opération « fausse nouvelle »…

C’est selon cette même logique que la punition collective – pratique interdite notamment par la convention de Genève – se justifie. Puisque les Ukrainien·nes et Palestinien·nes abriteraient et soutiendraient des terroristes, la punition collective est non seulement justifiée, mais nécessaire pour assurer la protection des civils nationaux. Par cette logique tordue, il est alors possible de justifier le meurtre éhonté de civil·es palestinien·nes ou ukrainien·nes, comme des dommages collatéraux pour protéger des civil·es israélien·nes et russes.

Le rythme des tambours de guerre est le même, en Russie comme en Israël, ce ne sont que les batteurs qui changent…

Toutes les résistances ne naissent pas égales

Une importante distinction existe cependant entre la lutte du peuple palestinien et la lutte des Ukrainien·nes : la solidarité qu’elle évoque chez les dirigeants occidentaux et notamment chez notre propre gouvernement canadien. Tandis que le gouvernement remue ciel et terre pour apporter un soutien à la résistance ukrainienne contre l’agression russe, elle nie ce même droit au peuple palestinien.

La semaine dernière, alors que l’assaut contre Gaza atteignait son pic meurtrier, le gouvernement du Canada a émis un seul tweet, déplorant la perte de vies civiles – l’auteur du tweet a oublié de mentionner que seules des vies palestiniennes avaient été perdues – et réitérant le soutien du Canada au droit d’Israël d’assurer sa propre sécurité.

Ce qui vaut pour l’Ukraine, ne vaut pas pour la Palestine : résistance héroïque à Kiev devient résistance futile à Gaza.

Alors la question se pose : qu’est-ce qui interdit au peuple palestinien les fleurs allégoriques que l’on dépose si aisément aux pieds des Ukainien·nes? En quoi la lutte des Palestinien·nes pour la dignité est-elle moins sincère, moins juste que celle menée par les Ukrainien·nes? Est-ce que les droits de la personne tant défendus par le gouvernement Trudeau s’appliqueraient partout, sauf en Palestine, sauf à Gaza?

L’hypocrisie des démocrates, joyau de l’arsenal autocrate

Dans un contexte de montée de l’autoritarisme à travers le monde, les agissements hypocrites du camp prétendument démocrate et universaliste ont l’ampleur d’une arme de destruction massive.

La disposition à la malléabilité des principes universalistes de l’Occident – universalisme des droits de la personne, sauf en Arabie saoudite, sauf en Afghanistan, sauf en Libye, sauf en Palestine, etc. – est la plus puissante arme dans l’arsenal des régimes autoritaires et de leurs matamores bien de chez nous qui condamnent la faiblesse et l’hypocrisie des démocraties occidentales. En mettant les intérêts géopolitiques avant les principes éthiques, le Canada donne des munitions à un discours démagogue qui affirme qu’au fond, les démocraties font exactement la même chose que les autocraties, mais avec un vernis…

Et si c’était l’hypocrisie occidentale, et non la Russie, qui était la plus importante menace à la démocratie? Et si la leçon était qu’on ne peut pas prétendre faire avancer la « cause de la démocratie » en choisissant les autocrates qui nous arrangent?

Niall Ricardo est membre de Voix juives indépendantes et militant syndical basé à Mooniyang/Tiohtià:ke/Montréal.

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