Non seulement faut-il cesser de céder des symboles forts à nos adversaires, il faut aussi nous les réapproprier!
C’est avec une grande déception que j’ai appris, des mois plus tard, la visite au Québec d’Órfhlaith Begley, députée nord-irlandaise du Sinn Féin, parti de gauche prônant la réunification de l’Irlande. Cela constituait la première visite officieuse d’une membre du parti élu à majorité au parlement de Belfast.
C’est à dessein que je ne parle pas de « gouvernement », car en vertu des règles parlementaires, pour former un gouvernement en bonne et due forme, les deux partis avec le plus de sièges doivent nommer un·e co-premier·ère ministre. Ce que refusent de faire les droitistes orangistes du Parti de l’union démocratique (DUP), loyal à la Couronne britannique.
Comment – au-delà du prétexte officiel de vouloir renégocier le protocole nord-irlandais concernant le Brexit – ne pas y voir un appel au « Péril vert » de la part des unionistes, à la suite de la victoire historique du parti qui lutte pour une Irlande unique depuis les jours lointains des guerres civiles irlandaises et qui se retrouve désormais majoritaire au parlement?
Mais je digresse – un peu seulement.
L’Irlande du Nord et le Québec
« Moi aussi j’aurais aimé que les Français remportent la bataille des Plaines d’Abraham, mais je n’étais pas là pour réveiller Montcalm », avait dit Jean Chrétien en 1999 à un groupe de politiciens nord-irlandais, comparant ainsi le Québec à l’Irlande du Nord alors qu’il menait une visite pour essayer de convaincre l’Armée républicaine irlandaise (IRA) de se désarmer et d’ainsi reprendre le processus de vassalisation pacifique avec Londres.
Le lieutenant de Pierre-Elliot Trudeau avait, cela dit, partiellement raison – les destins du Québec et de l’Irlande du Nord se croisent.
Alors pourquoi ce quasi-mutisme autour de la visite d’Órfhlaith Begley? On aura eu droit à un léger spasme médiatique dans La Presse avec un entretien dans lequel le journaliste a réussi l’exploit d’omettre les mots « Québec » et « indépendance », même si le mouvement obtient toujours, bon an mal an, un soutien populaire gravitant autour de 40 %.
De manière prévisible, le navire péquiste avait quant à lui perdu sa boussole ce jour-là, laquelle sert sans doute, inefficacement, de bouchon pour essayer d’empêcher l’eau d’envahir la cale.
Ce sont finalement les « crypto-fédéralistes » de QS qui ont souligné avec le plus de ferveur la venue de cette alliée naturelle qu’est Mme Begley pour le mouvement indépendantiste. Andrés Fontecilla l’a souligné officiellement en séance de l’Assemblée nationale. Sol Zanetti et Ruba Ghazal l’ont accueillie en personne.
Paul Saint-Pierre-Plamondon? Sans doute occupé à apporter la touche finale au manuscrit d’un prochain livre – probablement intitulé Les naufragés politiques – ou à réfléchir à ce que serait la place du Québec au sein de l’OTAN.
Ou encore trop frileux pour être vu avec la représente du parti qui fut – jadis, très jadis – l’aile politique de l’IRA? A-t-il aperçu le fantôme de Paul Rose derrière l’ombre de Mme Begley? C’est ce qui arrive quand on est diplômé du programme « l’image et rien d’autre », autrefois connu sous le nom de Génération d’idées.
Comme si le Sinn Féin demeurait, près de 25 ans après les Accords du Vendredi saint, un symbole de violence politique.
Comme si le puits était irrémédiablement empoisonné.
Se réapproprier les symboles
Voilà une des grandes tares politiques qui afflige la gauche – on frémit de trouille à toute lointaine évocation de violence et on abandonne des symboles et des luttes à l’extrême droite et au complotisme.
Pourquoi ne pas justement y aller d’un savant pied de nez à Jean Chrétien en affirmant que oui, les mouvements indépendantistes et républicains au Québec et en Irlande du Nord partagent au moins un point en commun, c’est-à-dire une volonté de s’affranchir de la Couronne britannique.
Pourquoi ne pas réaffirmer les proximités historiques des luttes armées menées pendant la rébellion de 1837-1838 et pendant les guerres d’indépendance irlandaises? En me livrant moi-même à l’exercice, j’avoue m’être demandé ce qui aurait pu se passer si les Féniens avaient mené leurs raids 20 ans plus tôt…
Pourquoi laisser aux nationalistes ethniques qui pourrissent notre vie politique l’initiative de s’approprier odieusement des symboles et des œuvres dont les auteur·es et les créateur·trices leur cracheraient à la gueule?
Pourquoi laisser aux complotistes, surtout d’extrême droite, le quasi-monopole de la critique de projets pourtant liberticides, comme celui de l’identité numérique?
Pourquoi ne pas se réapproprier la défense des lanceurs d’alertes comme Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning, abandonné·es par une petite élite libérale-bourgeoise qui exerce trop d’influence pour notre propre bien?
Et pourquoi ne pas, à l’instar du Sinn Féin et d’autres mouvements politiques de par le monde, recréer une idée de l’indépendance du Québec pour le 21e siècle, débarrassée des boulets qui continuent de ralentir notre marche?
Assainissons les puits empoisonnés.