
Inflation : augmenter les salaires plutôt que les taux d’intérêt?
Face à l’inflation, augmenter les salaires pourrait bien être une meilleure stratégie que celle actuellement déployée par la Banque du Canada.
Augmenter les taux d’intérêt pour combattre l’inflation coûte cher aux ménages canadiens et pourrait n’avoir que peu d’effet sur la crise, selon une analyse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Ses auteurs proposent plutôt de réduire les effets négatifs de la hausse des prix en augmentant le pouvoir d’achat de la population.
Endiguer les effets de l’inflation plutôt que d’essayer de la combattre directement pourrait s’avérer une stratégie très efficace et profitable pour la majorité des Canadien·nes, d’après une analyse de l’IRIS. « L’impact de l’inflation est que nous n’arrivons plus à boucler notre budget avec le même chèque de paie. La solution la plus simple à ce problème, c’est d’augmenter le revenu de tout le monde au même rythme que l’inflation », explique le chercheur à l’IRIS et co-auteur de l’analyse, Pierre-Antoine Harvey.
Un travail qui reste à faire, d’après l’économiste. Même si les dernières données de Statistique Canada suggèrent que le salaire des Québécois·es suit l’inflation (les deux ayant augmenté en moyenne d’environ 8 % sur un an), la moyenne cache la réalité de la plupart des travailleur·euses, selon M. Harvey.
« Des emplois mal rémunérés en restauration et en hôtellerie ont été remplacés par des emplois à haut salaire dans d’autres secteurs et ça pousse la moyenne vers le haut. Pour la majorité des gens qui n’ont pas changé d’emploi, ça n’aide pas à boucler la fin de mois », nuance-t-il.
Le gouvernement devrait donc donner l’exemple en indexant les salaires du secteur public, en créant de nouveaux emplois gouvernementaux liés à l’économie verte et en bonifiant les programmes d’aide, avance-t-il. De telles actions devraient avoir un effet d’entrainement sur le secteur privé et participer à la majoration de l’ensemble des salaires, selon l’analyse menée par l’IRIS.
Le mythe de la spirale inflationniste
Une telle stratégie va toutefois à l’encontre de ce qui est prêché par l’approche économique dominante depuis une quarantaine d’années, remarque Pierre-Antoine Harvey. Les économistes considèrent généralement que l’inflation est causée par les demandes salariales des travailleur·euses : celles-ci pousseraient leurs employeurs à hausser les prix de leurs produits, ce qui mènerait les travailleur·euses à demander de nouvelles augmentations pour conserver leur pouvoir d’achat et ainsi de suite, explique Pierre-Antoine Harvey.
Cette « spirale inflationniste » ne correspondrait toutefois pas à ce que l’on observe dans la réalité, prévient le chercheur. Selon lui, le salaire n’équivaudrait au maximum qu’à la moitié des coûts de production. Ainsi, en augmentant les salaires de 10 % une année, les prix n’augmenteraient que de 5 %, puis de 2,5 % l’année suivante et ainsi de suite, illustre-t-il.
« Le lien entre l’inflation et le salaire est donc réel, mais il n’est pas direct et exponentiel. Son impact va en décroissant avec le temps à condition que seuls les salaires soient ajustés et que les employeurs n’en profitent pas pour augmenter leurs marges de profits! » met-il en garde.
Une stratégie inefficace et coûteuse
Le rôle limité des salaires dans l’inflation n’est pas suffisamment pris en compte par la Banque du Canada lorsqu’elle hausse son taux directeur pour agir sur les taux d’intérêt, remarque le chercheur. Avec les hausses de 2,25 % qu’elle a fait depuis le début de l’année et celles attendues dans les prochains mois, la Banque vise au contraire à ralentir l’économie et notamment à créer du chômage, ce qui doit exercer une pression à la baisse sur les salaires. Cela fait porter le poids de la lutte à l’inflation sur les travailleur·euses.
La hausse des taux d’intérêt serait en plus mal adaptée pour répondre à la crise actuelle, ajoute-t-il. D’après l’étude, l’inflation serait principalement composée de l’augmentation du prix de l’essence (42 % de la hausse du panier de consommation), des aliments (14 %) et des propriétés (21 %). « Ce n’est pas en haussant les taux d’intérêt que nous pouvons faire baisser le prix de l’essence et de l’épicerie », remarque le chercheur.
L’augmentation des taux d’intérêt aura toutefois une incidence sur le prix des maisons, mais sans réduire la pression financière sur les familles, prévient-il.
« La hausse va faire augmenter les paiements de tout le monde dès qu’ils vont renouveler leurs hypothèques. Même si les prix baissent, acheter une maison à 500 000 $ avec un taux de 3 % ou à 400 000 $ avec un taux de 5 %, ça donne les mêmes paiements », illustre Pierre-Antoine Harvey.
En fin de compte, la stratégie de la Banque du Canada transfère surtout une part des richesses des travailleur·euses vers les banques, résume le chercheur.
La hausse des taux d’intérêt risquerait même fortement d’entrainer une récession, ce qui augmenterait sensiblement les inégalités au pays, rappelle l’étude. « Finalement la lutte à l’inflation pour protéger notre pouvoir d’achat nous coûte cher! » conclut Pierre-Antoine Harvey.
Correction : Les chiffres, qui avaient été inversés, ont été corrigés dans la citation de Pierre-Antoine Harvey sur les prêts hypotécaires. (12-08-22)