Reportage

Réfugiés afghans : donner un visage aux chiffres (2)

Portrait d’Abdullah Mashal, cuisinier afghan ayant fui le régime des talibans, aujourd’hui installé à Sherbrooke

Photographies de Sarka Vancurova

17 050. C’est le nombre de réfugié·es afghan·es accueilli·es pas le Canada depuis août 2021. Ottawa souhaite cependant réinstaller au moins 40 000 ressortissant·es afghan·es, et c’est loin d’être fait. Malgré les efforts du gouvernement, beaucoup s’impatientent pour obtenir leurs papiers et pouvoir atterrir sur le continent. Loin de l’enfer des talibans.

Pour aller plus loin que les chiffres, nous avons rencontré quelques familles afin de comprendre leur réalité, ce par quoi elles ont dû passer et où elles en sont maintenant. Deuxième portrait d’une série de trois.

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Abdullah Mashal

Né à Kaboul, Abdullah Mashal est parti vivre cinq ans au Pakistan avec sa famille lorsqu’il était jeune. Il se souvient de son enfance lorsque les talibans sont arrivés à cette époque-là. « Quand je suis né, ils n’existaient pas. Ils sont arrivés alors que j’avais sept ou huit ans et c’est à ce moment-là que ma famille et moi sommes partis. En 2001, après la chute des talibans, on est revenu en Afghanistan », se souvient-il.

Cinq ans après son retour au pays, il commence alors à travailler comme aide-cuisinier pour l’ONU. Par la suite, il est embauché comme chef cuisinier par la société Sophia, rachetée quelques années plus tard par l’Ambassade canadienne d’Afghanistan. Jusqu’en 2020, il y élabore des plats pour 130 personnes, chaque jour. « Les conditions de travail étaient très bonnes, on avait un bon salaire alors ça m’a poussé à rester », se souvient-il.

La famille Mashal au moment du repas | Photo : Sarka Vancurova

Tout quitter

Lors de l’assaut des talibans en 2021, « il y avait beaucoup de police du gouvernement afghan. C’était beaucoup trop et assez choquant pour nous », raconte-t-il.

Puis, le 15 août 2021, « du jour au lendemain, les talibans sont arrivés à Kaboul et tout s’est passé rapidement », se souvient-il.

C’est l’ambassade canadienne, son employeur, qui a alors aidé Abdullah Mashal et sa famille à venir au Canada. En quelques jours, ils ont reçu un visa d’urgence. « Le 21 août, nous sommes partis pour le Canada, en passant d’abord par le Koweït, puis l’Allemagne, avant d’atterrir à Toronto. L’évacuation a été très longue, nous avons attendu 24 heures à l’aéroport que les forces canadiennes nous fassent monter dans les avions des forces armées », précise-t-il.

À son arrivée, Abdullah Mashal espérait vivre à Toronto ou à Vancouver. « Ça n’a pas été possible, car il y avait déjà trop de réfugiés là-bas et c’était plus cher pour vivre », explique-t-il.

La famille s’installe finalement le 24 août à Sherbrooke, qui abrite une grande communauté afghane. « Il y a beaucoup d’Afghans, c’est vrai, mais ils ne s’associent pas avec nous, dit-il. Pendant un mois et demi quand nous sommes restés à l’hôtel à Sherbrooke, aucun Afghan ne nous a rendu visite. Pourtant, ils savaient que nous étions ici.

À Toronto, c’était différent : après notre quarantaine, toute la soirée, tous les Afghans qui vivent à Toronto depuis environ dix ans sont venus nous rendre visite dans notre hôtel. Ils apportaient de la nourriture, des vêtements, alors je ne me sentais pas seul au Canada ».

De plus, la ville de Sherbrooke est « trop calme » pour Abdullah Mashal, qui a vécu toute sa vie dans de grandes villes. « On ne savait pas où aller quand on est arrivés. Une fois installé, j’avais envie de pleurer. Je trouve cette ville ennuyeuse », s’attriste-t-il. Il espère prochainement déménager dans une plus grande ville comme Montréal ou Brossard.

En plus de la famille restée en Afghanistan, plusieurs choses ont été difficiles à laisser derrière. « On a perdu tout ce que nous avons construit et bâti en 20 ans, notre maison, nos visions pour l’avenir. On a dû tout laisser », confie Abdullah Mashal.

La famille Mashal | Photo : Sarka Vancurova

En tant que cuisinier, il a aussi dû adapter son métier. « Je ne cuisine plus de nourriture afghane, j’ai dû apprendre à faire des plats continentaux, européens, asiatiques, américains… », ajoute-t-il.

En vivant dans un pays occidental, Abdullah Mashal a aussi constaté « la mauvaise image » attribuée à son pays de naissance.

« Le monde a une vision très négative de mon pays. On voit des groupes de personnes venant d’Amérique, du Canada, de partout, qui viennent en Afghanistan pour la radio ou la télé et ils cherchent des villages occupés par les talibans. Ils prennent leurs photos, écrivent leurs articles et donnent seulement cette image négative. À cause de ça, les gens pensent que tout l’Afghanistan est pareil ».

Selon lui, l’Afghanistan regroupe plusieurs « régions magnifiques » ainsi que « beaucoup de personnes éduquées ». « Ce qu’on voit dans les pays occidentaux est très réducteur », se désole-t-il.

Avec la collaboration de Sarah Mugglebee pour la traduction des entrevues.

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