Alors que nous sommes engagé·es dans le feu roulant et incessant qu’est la vie, inexorablement, on a tendance à oublier sa fragilité et son caractère éphémère.
La mort de ceux qui étaient sous les feux de la rampe fait souvent la manchette. On cherche alors à donner un sens à leur mort pour pouvoir combler le vide laissé derrière eux.
La force de l’être humain est de donner du sens, notamment grâce à l’art. Par ses poèmes et ses récits, Karim Ouellet a su partager sa sensibilité et toucher non seulement les gens du pays, mais aussi ceux de l’autre côté de l’Atlantique. Devant un avenir qui semblait plein de promesses, sa disparation nous laisse sans voix.
Récemment, nous avons appris les circonstances entourant son tragique décès. Sa mort a été causée par divers facteurs, dont principalement le diabète.
Le diabète fait partie de ma vie, mon père en était atteint. Au début des années 2000, alors que je négociais les termes de la Commission vérité et réconciliation, j’apprenais que les Autochtones et les personnes racisées, cibles du racisme systémique, étaient plus touché·es par des maladies chroniques telles que le diabète, les maladies du cœur et la haute pression.
En 2020, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) rendaient publique un rapport sur le diabète et sa répartition raciale. Aux États-Unis, il existe une prévalence du diabète plus élevée chez les Autochtones (14,7 %), les personnes d’origine hispanique (12,5 %) et les personnes noires (11,7 %). De plus, le risque de développer du diabète est 77 % plus élevé chez les Afro-Américain·es que chez les Américain·es blanc·hes.
Toujours selon cette étude, les groupes ethniques minoritaires, en particulier les Noir·es américain·es, présentent des risques accrus de souffrir d’hypertension artérielle et de surpoids.
Racisme, stress et santé
Bien que ces facteurs soient circonstanciels, il faut reconnaitre que des obstacles socio-économiques et systémiques comme la ségrégation résidentielle et le stress freinent les améliorations aux conditions de vie
Pour comprendre la prévalence du diabète chez les Noir·es et les Autochtones, il faut considérer le contexte plus large, soit le contexte socio-économique, le contexte historique, les systèmes d’oppression.
En plus des facteurs « normaux » de stress, les minorités endurent le stress lié au racisme systémique qui a des effets négatifs sur la santé physique et mentale.
On le sait, les artistes vivent des situations d’exploitation au sein de l’industrie du disque. Stress lié au racisme et exploitation vont de pair. Rappelons-nous le visage de Prince balafré du mot SLAVE. On peut également penser au King of Soul, James Brown, qui n’avait pas confiance en l’industrie du disque et dans les manières impitoyables du monde du spectacle.
On ignore ce que Karim a vécu, l’histoire ne le dit pas.
Comment se manifeste le racisme systémique, source de stress et de mauvaise santé? Le racisme est inscrit dans un ensemble de systèmes, étatiques ou non. Il est si profondément enraciné qu’il devient en quelque sorte invisible. Rappelons que les discriminations subies par les Noir·es et les Autochtones sont également de nature intersectionnelle.
Au Canada, les Noir·es sont confronté·es à un système qui fait des hypothèses à leur sujet en fonction de la couleur de leur peau. Cela se manifeste dans plusieurs aspects de leur vie.
Près de la moitié (46 %) des Noir·es de 15 ans et plus ont été victimes d’au moins une forme de discrimination au cours des cinq années, selon une enquête de Statistique Canada de 2019, comparativement à 16 % de la population non autochtone n’appartenant pas à une minorité visible. Les expériences de discrimination étaient beaucoup plus fréquentes chez les Noir·es né·es au Canada (65 %) que chez les immigrant·es noir·es (36 %).
Comment Karim a vécu ces traitements différenciés, l’histoire ne le dit pas.
Au cours de cette période, les taux de chômage de la population noire sont demeurés plus élevés que ceux observés dans le reste de la population. Cela est le cas même pour les niveaux de scolarité plus élevés. Par exemple, toujours selon Statistique Canada, parmi les titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires en 2016, le taux de chômage de la population noire était de 9,2 %, par rapport à 5,3 % dans le reste de la population. Les Canadien·nes noir·es de première génération gagnent un revenu moyen de 37 000 $, comparativement à un revenu moyen de 50 000 $ pour les nouveaux et nouvelles immigrant·es qui ne sont pas membres d’une minorité visible.
Les enfants noirs sont traités différemment par de nombreux·ses enseignant·es : le système scolaire les perçoit comme étant déficients, problématiques et, conséquemment, ils peinent à s’intégrer. Les enfants noirs sont sur-disciplinés et on les punit de façon disproportionnée. Ce qui a des effets sur leur scolarisation et sur leur avenir professionnel, sans compter leur estime de soi.
Plus encore, au Canada en 2020, les crimes haineux ciblant la population noire sont demeurés les plus fréquemment déclarés, représentant 26 % de tous les crimes haineux.
La santé des Noir·es compte
Le racisme systémique a également des conséquences sur la façon dont les soins sont donnés. On ne peut que penser au cas de Joyce Echaquan. Le rapport de la coroner Géhane Kamel a mis en évidence la présence de racisme systémique dans le système de santé, recommandant au gouvernement caquiste de reconnaitre cette réalité.
La lutte au racisme systémique est donc cruciale.
Si la priorité du gouvernement est la santé, encore faut-il qu’elle soit accessible à toutes et tous les Québécois·es.
Devant un tel état de fait, on ne peut que constater l’importance d’obtenir des données ventilées et des recherches ciblant les Noir·es, afin de pouvoir définir des politiques publiques qui seront en mesure de servir également la population noire du Québec.