Vociférantes
Depuis quelques semaines , je me réveille avec un sentiment désagréable qui me gronde au creux du ventre. Qui rumine, qui bourdonne.
Je me sens vociférante.
Le correcteur lexical de mon ordinateur m’indique que je commets peut-être, en féminisant ce terme, une erreur de grammaire. Pourtant, c’est bien comme ça que je me sens, vociférante. Et si je le ressens comme ça, c’est bien parce que ce sentiment doit exister. C’est que mon correcteur a été inventé par un système qui a avantage à invisibiliser ce type de réalités au féminin. Le même système qui s’acharne, ces temps-ci, à livrer une bataille impitoyable contre les droits et libertés des femmes, garantissant notamment notre sécurité, notre intégrité et notre capacité de disposer librement de nos corps
Les filles, on ne va pas se mentir, les droits des femmes prennent une sacrée raclée, ces temps-ci. Entre l’invalidation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, le règlement hors cour d’allégations d’agression sexuelle visant huit hockeyeurs, l’absolution d’un ingénieur ayant avoué avoir commis une agression sexuelle et la tentative de retour à la vie publique de Julien Lacroix, on ne sait plus dans quelle direction s’insurger.
Les vies des femmes semblent valoir moins que les carrières et les ambitions de ces messieurs.
Plus ça change…
La huitième saison du balado Ma version des faits d’Isabelle Richer, diffusée la semaine dernière, fait justement la lumière sur un biais genré similaire au cas de l’ingénieur Simon Houle : Richer rapporte son point de vue sur une affaire où, dans les années 1990, un chirurgien ayant agressé sa patiente sous anesthésie générale avait été innocenté, et ce, malgré la présence de preuves et de témoins oculaires.
De même, l’an dernier, près de trente ans après ces faits, le documentaire La parfaite victime mettait encore précisément en exergue l’urgence d’agir différemment en réponse aux agressions à caractère sexuel. La nécessité pressante d’adapter nos systèmes pour mieux comprendre et respecter les droits des survivantes et survivants.
Combien de fois faudra-t-il ressasser aux magistrats qu’une agression sexuelle n’a rien d’une « relation »? Combien de fois faudra-t-il crier notre douleur pour qu’on nous entende? Combien de fois faudra-t-il que des femmes meurent, avant d’être prises au sérieux?
À vous, qui perpétuez et profitez des systèmes d’oppression et qui rabâchez toujours les mêmes vieilles hostilités, je réponds : autant de fois qu’il le faudra. C’est vrai que notre colère s’accompagne de tristesse et de fatigue – c’est parce que vous nous rouez chaque jour d’une nouvelle salve de mépris.
Mais nos voix ne se tairont pas. Nous continuerons de nous tenir debout jusqu’à ce que vous acceptiez enfin de nous regarder droit dans les yeux et cessiez d’agir avec lâcheté, en vous protégeant les uns les autres des représailles. Sachez que notre dignité, certes, se chiffonne. Nous en sommes encore à défroisser les plis infligés à celles de nos grands-mères. Mais notre dignité est indestructible et ne se déchirera jamais sous vos pas impérieux.
Nous n’abandonnerons pas
À mes allié·es, à mes semblables, je vous vois. Je vous estime. Je vous entends. Je vous crois. Toutes ces actualités, ces annonces de combats à regagner, deviennent franchement lassantes. Il est tout à fait correct de se sentir trop épuisé·es, parfois, pour participer au combat. Tu as le droit de ne pas refaire la preuve de ton courage à tous les jours. Prends tout le temps dont tu as besoin. Tu peux te reposer sur nous, tu peux nous tendre la main, nous sommes là. Nous t’attendons et nous te protégerons jusqu’à ton retour.
Les luttes comme celles portées par les mouvements féministes, pour ne nommer que celles-ci, ne sont pas de celles que l’on choisit par simple besoin de divertissement. Elles nous tombent dessus comme un relais qui parvient jusqu’à nous, transmis de mains en mains, et que l’on nous demande désormais de porter. On se fait léguer ces combats, et c’est éreintant.
Mais vous savez de quoi je ne me lasse ni ne me lasserai jamais, les filles? C’est de nous voir résistantes, puissantes, expertes, franches et fortes. De vous savoir vociférantes, vous aussi, à mes côtés.
Nous ne sommes pas des poussières insignifiantes sous leurs chaussures de cuir verni, et même si ça ne parait pas tous les jours, les systèmes d’oppression commencent à tressaillir. Parce que, si leurs bénéficiaires ne daignent pas baisser les yeux vers leur piédestal, c’est par crainte de nous y découvrir, toujours et encore. Brillantes. Féroces. Et ensemble.
