À l’école primaire, j’avais pris l’habitude de prétendre que ma couleur favorite était le bleu. Secrètement, c’était le rose qui me faisait vibrer.
J’avais simplement appris que, dans la cour de récréation, le rose était associé au féminin et que le féminin n’était pas cool, qu’il était même souvent associé au futile et à la faiblesse. Et je ne voulais surtout pas être futile ou faible, alors je m’infligeais cette petite violence de nier ma préférence.
La toute récente vague de mépris envers les drag queens prend racine dans une problématique connexe aux ramifications tentaculaires : dans la performance de genre, à laquelle on apprend tous et toutes à participer à différentes échelles, le féminin demeure vastement déconsidéré.
Le fait qu’une personne désignée comme de sexe masculin à la naissance performe de son plein gré la féminité paraît dès lors un insupportable affront aux yeux de certain·es.
Rappelons qu’il y a une dizaine de jours, une bibliothèque de Dorval a été cible de propos violents après avoir annoncé qu’une heure de conte serait animée par la drag queen Barbada de Barbades. Des commentaires faussement bien intentionnés ont été émis sur le Web quant à l’idée que des enfants côtoient des drag queens. Rapidement, une chronique de Sophie Durocher est venue galvaniser un discours rétrograde sur la pertinence de la drag au Québec.
Notons qu’une part de ces tentatives de censure anti drag queens s’inscrit dans la foulée d’un projet de loi américain visant à restreindre l’accès aux spectacles de drag.
La performance de l’âge adulte
S’il est une performance sociale à laquelle il faut également admettre que nous participons, c’est la performance de l’âge adulte. À voir certaines réactions effarouchées devant tout ce qui s’écarte un tant soit peu des sentiers battus, on croirait que la pierre d’assise de la maturité consiste à apprendre à refouler ses plaisirs, à délaisser les couleurs vives et les accessoires attrayants de la petite école pour se réfugier dans une rassurante uniformité.
Socialement, la spontanéité et la passion sont constamment opposées au sérieux et à la réflexion dans les milieux de travail, les choix vestimentaires, les préférences culturelles.
Mais, entre vous et moi, plusieurs grandes personnes feignent sans doute de ne pas préférer le rose; refoulent cet instinctif sentiment d’excitation devant les coloris vifs, les paillettes et certaines chansons populaires entraînantes.
Vivant, l’art de la drag
L’art de la drag, dans sa complexe dualité, est précisément cette fête de la diversité, conjuguée au féminin. Au-delà de la performance de genre, on ne peut passer sous silence l’immense travail créatif qui s’opère dans les coulisses de ce type de mises en scène.
Si, par ailleurs, une réflexion très juste s’articule publiquement autour du maquillage et de ses aspects souvent contraignants, rendons tout de même ses titres de noblesse au maquillage de scène, qui demande un grand savoir-faire. Il faut voir aller les artistes maquilleuses et maquilleurs dans les théâtres pour saisir l’immensité de leur expertise. Tel·les de véritables peintres et sculpteur·trices, ils et elles prennent les visages pour canevas d’expression. Combien peuvent se vanter de si bien maîtriser les ombres et les lumières, la complémentarité des couleurs, au point d’avoir la capacité de métamorphoser les traits?
Du jeu scénique aux chorégraphies, en passant par les costumes et maquillages élaborés : la drag est une expérience artistique tout ce qu’il y a de plus entière, avec une variété de styles et de contenus pour satisfaire tous les goûts. Comme les autres arts vivants, celui-ci exige des publics une part d’acceptation du risque : la vie, ça bouge! C’est souvent surprenant et non homogène, mais c’est aussi dans l’inattendu que naissent de grandes beautés.
Rouvrir son cœur à l’éclat
À l’occasion de la Fête nationale et en plein mois de la Fierté, voici une occasion renouvelée de nous demander dans quelle société nous voulons vivre.
La vie est courte, et je nous souhaite de savoir créer les occasions d’être nous-mêmes. Je veux que les adultes puissent faire les courses en tutu pastel et bustier clinquant sans décrocher de regards désapprobateurs. J’aimerais que les enfants affichent fièrement toutes les couleurs, que les petits garçons se sentent à l’aise de se rendre à l’école avec du vernis à ongles. Avant tout, je veux prendre part à une société ouverte et inclusive qui respecte les choix de chacun et de chacune.
Avouons que les dernières années nous ont plongé·es au cœur d’une cruelle carence d’émerveillement. Alors je dis « Hourra! » que les Rita Baga et Barbara de Barbades de ce monde puissent encourager les démonstrations d’exubérance et d’éclat mais, surtout, favorisent le rayonnement de nos grands et petits plaisirs décomplexés.