L’opticien qui fait passer la vue avant le profit

Le Bonhomme à lunettes réinvente le marché de l’optique pour le rendre accessible au plus grand nombre, en collaboration avec des organismes communautaires.

Les lunettes peuvent coûter de 100 $ à 500 $, parfois plus selon le type de correction de la vue. Le Bonhomme à lunettes offre depuis quinze ans un service de lunetterie qui se veut accessible, de qualité et de proximité, dont le modèle d’affaires fait passer les client·es avant le profit.

C’est au cœur du Mile End, au quatrième étage d’un ancien bâtiment industriel typique du quartier, que se trouvent les bureaux du Bonhomme à lunettes. C’est là que nous rencontrons Philippe Rochette, fondateur de l’entreprise.

L’homme dynamique a de l’humour et enchaîne les blagues. « Ça va, mon fond de teint ne coule pas trop? » plaisante-t-il devant l’objectif. Il a l’habitude, lui qui n’hésite pas à se mettre en scène dans des parodies de publicités télé qui se moquent de l’industrie.

Il aime le contact humain, et prend le temps de saluer chaque personne qu’il croise, en s’assurant que les acheteur·euses sont satisfait·es.

« Je suis un peu lente pour réfléchir, mais mon coup de cœur, c’est celle [la paire de lunettes] que vous aviez proposée », lui jette une cliente avec un grand sourire, en quittant les lieux.

Parce que bien voir est essentiel

Depuis quinze ans, l’entreprise fournit des lunettes de prescription aux gens qui n’ont pas les moyens d’aller s’en procurer dans les commerces conventionnels.

« On vit dans une société où voir est un luxe, aussi stupide que cela puisse sonner », déclare Philippe Rochette avec sarcasme.

Le Bonhomme à lunettes a fait le pari de mettre les client·es au cœur de son modèle d’affaires : « On a un modèle où on n’essaie pas de maximiser les profits à chaque personne qui passe, mais au contraire, on s’adresse aux besoins et aux moyens des personnes. »

Une cliente du Bonhomme à lunettes venue commander sa paire dans l’un des points de service, le Chic Resto Pop à Hochelaga. | Photo : Paola Chapdelaine

Cela est notamment possible grâce à une gestion de l’entreprise qui vise des coûts fixes les plus bas possible. Mais aussi en évitant de vendre certaines grandes marques qui imposent de lourdes conditions.

Aujourd’hui, le Bonhomme à lunettes est fréquenté par des personnes de tous types. Parmi elles, Line, une cliente rencontrée à l’organisme communautaire le Chic Resto Pop à Hochelaga, venue accompagnée de sa fille : « J’ai connu le Bonhomme à lunettes quand je travaillais à l’hôpital. Une dame avait une monture que je trouvais très jolie et je lui ai demandé où elle l’avait trouvée. C’était il y a dix ans. »

Si l’entrepreneur a commencé en parcourant les centres d’accueil pour personnes itinérantes au centre-ville de Montréal, aujourd’hui il a une clientèle solide et variée.

Noam est étudiant. Il est venu seul ce jour-là, un livre à la main. « J’ai perdu mes lunettes dans un concert de métal il y a deux semaines », raconte le jeune homme d’une voix douce et posée. Toute sa famille vient au Bonhomme à lunettes. Pour lui, les principaux avantages sont le prix et la grande sélection de montures.

Noam, client du Bonhomme à lunettes, essaie un modèle dans l’un des points de service, le Chic Resto Pop à Hochelaga. | Photo : Paola Chapdelaine

Un travail d’équipe avec les centres communautaires

Grâce à leur collaboration avec des centres communautaires dans la grande région de Montréal, les 30 opticien·nes et les employé·es du Bonhomme à lunettes offrent leur expertise dans 65 lieux chaque semaine, et ce, jusqu’à la Baie-James.

Philippe Rochette poursuit encore aujourd’hui une collaboration étroite avec les organismes communautaires. Ceux-ci proposent de nombreux services, notamment pour les personnes en situation de précarité, parmi lesquels la lunetterie trouve toute sa place. Ainsi, la communauté peut profiter du Bonhomme à lunettes sans quitter son quartier.

Avec les années, l’entreprise a reversé plus d’un million $ aux organismes avec lesquels il collabore.

À Pointe-Saint-Charles, le centre communautaire Partageons l’espoir accueille le Bonhomme à lunettes chaque semaine. Pour la directrice générale du centre, Stéphanie Taillon, c’est un service essentiel mis à la disposition des résident·es. « Pour nous, c’est un service de plus qu’on peut offrir à nos membres. C’est notre rôle de proposer des services à des prix abordables, qui répondent vraiment aux besoins de la communauté », raconte la directrice. Elle sait combien une paire de lunettes peut être chère, alors que bien voir est un besoin de base.

Sur chaque paire vendue, le Bonhomme à lunettes reverse 10 $ aux organismes dans lesquels il intervient. Avec les années, l’entreprise leur a reversé plus d’un million $. Cet accomplissement lui a même valu une mention à l’Assemblée nationale en février dernier.

L’un des opticiens du Bonhomme à lunettes prépare une commande pour un client, au quartier général rue de Saint-Viateur à Montréal. | Photo : Paola Chapdelaine

Faire de l’humain la priorité

Pourtant, la réussite de l’entreprise ne réside pas simplement dans le fait d’avoir vendu plus de 100 000 paires depuis sa création. Philippe Rochette la voit ailleurs : « On en discute parfois entre collègues. On trouve beaucoup de gratification dans le service un à un. On vient vraiment déboguer des situations. »

« Des fois, ça fait longtemps que les clients ont besoin de lunettes, ça fait longtemps qu’ils voient mal, ça fait longtemps que les vitres sont rayées. Et parce qu’on rend ça accessible, parce qu’on a envie de corriger cette absurdité-là, on reçoit des poignées de mains, on reçoit des mercis, on reçoit des cartes, des accolades », raconte avec conviction le chef d’entreprise.

Ce qui importe pour l’équipe du Bonhomme à lunettes, c’est d’aider concrètement les gens dans un achat qui peut être inaccessible ou inconfortable pour eux : « Pour moi, c’est absurde que ce soit problématique » de se procurer des lunettes, lance-t-il.

Même si son concept est assez unique au Québec, Philippe Rochette tient à préciser que le dysfonctionnement qu’il constate n’est pas propre à l’industrie de la lunette. L’accès à certains soins est devenu compliqué dans de nombreux domaines.

Sur le marché de la lunette, il existe d’autres enseignes qui se rapprochent de ce que fait le Bonhomme à lunettes, même s’il est le seul à aller aussi loin dans sa démarche.

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