En Ouganda, les femmes en première ligne de la crise des déchets

Dans la décharge de Kiteezi, comme dans le reste du pays, les femmes sont au premier rang face aux défis résultant de la gestion des déchets et du recyclage : précarité de l’emploi, pollution et dangerosité des matériaux. Une situation qui génère de nombreuses inégalités.

L’Ouganda est confronté depuis quelques années à une crise des déchets, dont le volume a considérablement augmenté. En première ligne de cette crise, les femmes, qui représentent 80% des collecteur·trices de déchets dans la capitale Kampala.

Dans la décharge de Kiteezi, l’une des plus grandes d’Afrique, des silhouettes déambulent sur le flanc d’une montagne de déchets haute de plusieurs dizaines de mètres. Parmi elles, Amina Mukasa, qui s’y rend depuis plusieurs années pour ramasser les tonnes d’ordures qui s’y déversent chaque jour. Travaillant à son compte, cette Ougandaise récupère quotidiennement divers objets dans de grands sacs qu’elle revend à l’entrée du terrain à des entrepreneurs chargés d’emporter le produit jusqu’aux centres de récupération. Ici, comme dans les nombreuses décharges que compte la capitale, le tri s’effectue à la main. 

« La vie est difficile, raconte-t-elle. Lorsque le soleil brille, ça nous brûle, lorsqu’il pleut, l’eau nous empoisonne. Mais c’est le seul travail que nous ayons, et ça paie le loyer. » Dans cette décharge, 78 % du millier de travailleurs présents sur place sont des femmes.

Les collecteur·trices ramassent et trient du plastique, du métal, du carton et parfois du verre 10 heures par jour | Romeo Mocafico

Si la ville dispose d’un système de collecte municipal et d’une flotte de camions, ces derniers ont tendance à concentrer leurs efforts dans certains quartiers, souvent les plus aisés. L’organisme public chargé d’assurer le service, KCCA, reconnaît que le volume de déchets généré dépasse la capacité de collecte, dans la limite du budget public. Avec moins de la moitié des déchets correctement collectés à Kampala, les autorités estiment que 60% des 1300 tonnes produites quotidiennement finissent dans le caniveau, favorisant la création de décharges sauvages.

À Kiteezi comme dans le reste du pays, les femmes sont au premier rang face aux défis résultant de la gestion des déchets et du recyclage : précarité de l’emploi, pollution et dangerosité des matériaux. Une situation qui génère de nombreuses inégalités.

Le total annuel des déchets générés à Kampala est passé de 230 000 tonnes en 2011 à 480 000 tonnes en 2017, ce qui correspond à la croissance démographique observée sur la même période dans la région (+53%) | Romeo Mocafico
La décharge de Kiteezi continue d’être utilisée au-delà de sa capacité, si bien qu’elle se retrouve dans des conditions similaires à une décharge à ciel ouvert, même si elle a été construite comme une décharge sanitaire | Romeo Mocafico

Un système inégalitaire

À la décharge, Namata Resty est la responsable des femmes membres de l’Association des jeunes collecteurs de Kiteezi, qui regroupent 350 personnes. Pour elle, les femmes collectrices sont avant tout victimes d’inégalités d’ordre financier. « Ici, une femme gagne en moyenne 7 000 shillings (2,5 $) par jour en revendant sa collecte aux commerçants qui collaborent avec les usines de recyclage, explique la jeune femme. Un homme, lui, peut faire plus de 10 000 car il est plus fort physiquement, alors que les femmes plus âgées ne perçoivent pas plus de 30 000 par semaine. »

Namata cite également les responsabilités familiales, qui pèsent sur les mères, en très grand nombre dans le milieu. Pour Namata, les hommes n’assument pas toujours leurs responsabilités, ce qui expliquerait le nombre important de mères célibataires au sein de la décharge. « Quand toi ou ton enfant tombe malade, ça devient très compliqué car tu ne peux plus travailler, et tu n’as pas de quoi l’emmener à l’hôpital, dit-elle. On doit souvent emprunter quelques milliers de shillings aux associations pour être pris en charge. »

Namata Resty se repose sur les sacs qu’elle a récoltés dans la matinée | Romeo Mocafico
À Kiteezi, les accidents de travail sont nombreux et impliquent la plupart du temps des femmes | Romeo Mocafico

Il existe pourtant, d’après elle, des solutions simples à mettre en place, dont la mise en place de zones de récolte exclusivement destinées aux femmes. « Pour améliorer notre qualité de vie, on pourrait par exemple créer des marchés réservés aux femmes ou aux femmes âgées », dit-elle. En effet, d’après Namata, cette division protégerait ces dernières, souvent victimes des mouvements de foule dûs à la présence de machinerie lourde sur le terrain. « Les machines que l’on retrouve sur notre lieu de travail sont très dangereuses, et il y a souvent des bousculades. »

Un point de vue que partage Patrick Seruwu, responsable de l’Association des jeunes de Kiteezi. « KCCA ne nous donne rien, on travaille à notre propre risque », affirme-t-il, précisant que les bottes et les gants de protection sont à la charge du travailleur.

Patrick Seruwu aide un collecteur à peser un sac de récupération en vue d’une vente | Romeo Mocafico
Comme une grande partie des travailleurs de Kiteezi, Patrick Seruwu vit à quelques mètres de la décharge | Romeo Mocafico

L’entreprise publique KCCA, qui opère dans l’ensemble du pays, ne semble pourtant pas disposée à entendre les revendications de ses collaborateur·trices, qu’ils soient masculins ou féminins, faute de budget et de communication entre les parties. « Ils veulent nous voir partir pour des raisons de sécurité », s’offusque Luke Mugerwa, le président du comité de la décharge. « Mais c’est un problème pour nous, car c’est le seul moyen de survivre pour beaucoup. Pour améliorer nos conditions, il faudrait un véritable changement de mentalité. »

Un système moins efficace

Une étude menée en 2021 par l’entreprise Allcot, spécialisée dans les initiatives de développement durable, a révélé que les problèmes les plus importants des secteurs de la gestion des déchets et du recyclage des plastiques en Ouganda sont aggravés par les inégalités entre les sexes. Y sont notamment abordés les défis de volume de déchets, de taux de recyclage et des inégalités de genre face à l’emploi. « Les réformes du secteur des déchets ne seront efficaces et durables que si elles adoptent une perspective de genre et s’engagent à garantir l’égalité des sexes », peut-on y lire. Les experts s’interrogent entre autres sur la capacité des entreprises tenues par des femmes à obtenir des financements, sur l’égal accès aux machines et aux équipements ou encore sur l’égal accès aux formations.

Pour Kareem Buyana, membre du Laboratoire d’intervention urbaine de l’Université Makerere, cité dans l’étude, la dynamique de genre existante est déterminante pour qualifier la capacité des hommes et des femmes à évoluer dans le secteur. 

Il souligne que les inégalités observables sur le terrain ont une conséquence sur la représentation des femmes : elles ont plus de difficultés à accéder à d’autres secteurs d’activités en raison de l’image que leur confère la société, et sont victimes des stéréotypes liés au rang des tâches ménagères. En conséquence, la plupart des femmes travaillant à Kiteezi ont déclaré souffrir d’exclusion sociale de la part de leur famille et leurs cercles d’amis les plus proches.

L’espoir des discriminations positives

Les organismes à l’initiative de l’étude préconisent ainsi des actions de discrimination positive, qui seraient dirigées par des associations sociales de femmes du secteur. Le but est d’aider les femmes à surmonter les disparités socio-économiques et la féminisation de la pauvreté. 

Pour Kareem Buyana, le recyclage et le domaine de la construction peuvent en ce sens être une opportunité pour les femmes recycleuses de la capitale, qui ont souvent un faible niveau d’éducation. Il estime que des projets bien menés pourraient les aider à développer un éventail de compétences : en collaborant directement avec des entreprises locales, elles pourraient bénéficier d’un revenu stable et accéder à une formation continue et transférable à d’autres corps de métiers.

Suivant cette logique, des initiatives ont vu le jour ces dernières années à Kampala, mettant en valeur le rôle des femmes recycleuses de la capitale. Le Bloqueplas Construction System est un exemple de projet de recyclage de plastique conçu pour créer du travail pour les femmes dans les communautés locales. En formant les collectrices, trieuses et vendeuses, l’objectif de l’entreprise est de créer 50 000 emplois en 5 ans. 

Une usine de recyclage, proche de la décharge de Kiteezi | Romeo Mocafico

Autre initiative, l’entreprise Reform Africa produit des sacs à partir d’éléments recyclés issus des décharges de Kampala. Sa fondatrice, Faith Aweko, se dit proche des enjeux féministes et écologiques dans le pays. « Ça nous permet de verser des salaires en achetant le plastique que les membres de la communauté nous fournissent. »

Le rapport d’Allcot préconise la multiplication de ces projets en Ouganda et des investissements publics et privés dans des initiatives de recyclage portées par des femmes. Il conclut en affirmant que « l’économie circulaire du plastique en Ouganda passera par les femmes ».

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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