La démocratie? Oui, sur papier!

CHRONIQUE | Coup de gueule contre les berceurs d’illusions à propos de nos sociétés.

D’emblée, on va se le dire : le document de la Cour Suprême sur le renversement de Roe v. Wade qui a trouvé son chemin dans les médias depuis quelques jours possède la même force de loi qu’un vulgaire mémo. 

À la différence que ce mémo est signé par ceux et celles considérés comme l’épitomé de la pensée juridique dans le pays et qu’il est le prélude à la conclusion logique des nominations par Donald Trump d’une poignée de fanatiques religieux au plus haut tribunal américain : la fin des protections fédérales du droit fondamental des femmes à disposer de leur propre corps. Pourtant, le Christ lui-même n’avait-il pas commandé de laisser à César ce qui est à César – autrement dit, les affaires politiques à la sphère politique? De toute manière, les États-Unis sombrent dans la théocratie depuis déjà près d’un demi-siècle et, à ce rythme, rejoindront certainement l’Inde et Israël au rang des régimes laïcs factices.

Depuis quelques jours, on traite cette catastrophe comme le mal lui-même qui ronge la démocratie en Amérique, alors qu’il n’est qu’un symptôme parmi d’autres du déclin civilisationnel de la plus grande puissance (nucléaire) du monde.

Car cette chronique n’a rien à voir avec le droit à l’avortement – je laisse le soin à d’autres d’en discuter.

Cocher des cases

Quand vient le temps d’analyser les systèmes politiques, surtout occidentaux, les politologues me font un peu penser aux psychiatres.

Ils adorent, eux aussi, cocher des cases.

Et comme les psychiatres, le caractère subjectif de leur objet d’étude les envoie souvent se perdre dans le flou infini de la conceptualisation théorique.

Prenons la démocratie, par exemple.

Élections? Coché.

Presse libre? Coché.

Pouvoirs séparés? Coché.

Et comme c’est le cas avec trop d’universitaires qui croient saisir suffisamment l’état du monde pour s’improviser commentateurs professionnels de l’actualité (et ainsi monopoliser les micros et les espaces offerts dans nos grands médias), ils n’ont que ça, la théorie, pour expliquer à la plèbe le comment du pourquoi des crises sans fin qui gangrènent notre planète.

Et quand on a qu’un marteau comme outil, tout ressemble à un clou! 

C’est fascinant de les voir parler, par exemple, des mécanismes d’imputabilité inscrits dans l’ADN de nos institutions et qui s’incarnent dans les innombrables commissions d’enquête, comités sénatoriaux et autres forums politiques censés, bien sûr, de rappeler aux puissants de la société, ses réels maîtres, qu’ils cultivent leur richesse et leur influence dans une démocratie libérale où le citoyen, par l’entremise de ses représentant.es élu.es, conserve le dernier mot. Ils en parlent comme si l’intégrité des institutions n’avait pas été constamment affaiblie par des décennies de corruption politique et morale, préférant reléguer de telles accusations à un populisme gisant au pied de leur tour d’ivoire. De la chair à commentariat-poubelle, sans doute. Qu’ont à voir l’état des routes et les dépassements de coûts de projets publics avec la grandeur de nos institutions démocratiques forgées dans le feu du génie des grands penseurs des Lumières?

Faites-moi rire.

« Recul démocratique », l’euphémisme du siècle

L’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale est un organisme transnational qui, comme beaucoup d’entre eux, se soucie tellement du sort des pays du Sud global qu’il finit par oublier que l’Occident n’est pas aussi démocratique qu’on voudrait le croire.

Pourtant, dans son dernier rapport paru l’an dernier, elle n’hésite pas à classer le cœur de l’Empire, les États-Unis, dans sa liste de pays « en recul démocratique », titre peu envieux partagé avec raison par l’Inde, le Brésil, la Pologne et la Hongrie, entre autres.

Évidemment, les porte-voix de l’élite « progressiste » n’ont pas hésité à rejeter tout le blâme sur les années Trump.

Pourtant, ce régime n’a fait qu’accélérer un déclin amorcé il y a plus de 50 ans et dont se sont rendus coupables tant les Républicains que les Démocrates, quoiqu’en pensent les intellectuel.les à gages et autres philosophes royaux qui ne cessent de chercher à nous persuader de l’absolue suprématie de la pensée libérale.

Au berceau de l’hégémonie capitaliste et militaire, c’est sous une administration démocrate que fut validée la décision Citizens United v. FEC, qui a levé toute réglementation sur le financement des élections, permettant l’éclosion de ces fossoyeurs de démocratie que sont les Political Action Committees (PACs et SuperPACs) au travers desquels les oligarques américains ont pu acheter le système électoral. C’est aussi sous la présidence de Barack Obama que fut ratifiée Dodd v. Frank, censée mettre fin à la folie spéculatrice des maniaques de Wall Street, mais qui a en fait changé les règles du jeu au détriment des petites institutions au profit des plus grandes. Un sauvetage camouflé des grandes firmes qui ont plongé dans la misère des millions de citoyen.nes américain.es. L’impérialisme et le militarisme se poursuivent sans discrimination idéologique, peu importe le locataire de la Maison-Blanche – le complexe militaro-industriel veille à subvenir aux besoins financiers des deux partis. Le système carcéral marche à profit avec quelques enveloppes brunes versées à des juges, qui doivent eux aussi financer des campagnes de réélection. Jamais la propriété des grands médias, ceux qui façonnent l’opinion et le consentement citoyens, n’a été aussi concentrée entre les mains d’une petite poignée d’oligopoles.

Les barons de l’énergie, eux, n’ont que quelques chèques à signer si jamais l’Agence de protection de l’environnement cherche à jouer les redresseurs de torts – demandez aux citoyen.nes de Flint, au Michigan, quand ils espèrent un peu d’imputabilité pour l’empoisonnement de la rivière qui les alimentait en eau potable. Malheureusement pour eux, Coca-Cola vend de l’eau en bouteille.

Au Canada, on ne fait pas mieux, la démocratie n’est elle aussi qu’un terme galvaudé, synonyme d’une élection aux quatre ans au cours de laquelle la population a la liberté de choisir ses maîtres. Pire, jamais au cours du processus de fascisation du voisin américain n’a-t-on remis en question notre indéfectible alliance politique, économique et militaire.

Libéral ou conservateur, le gouvernement de ce pays artificiel dont l’unité n’est que factice demeure au service de l’état-dans-l’état extractiviste, celui-ci représenté par d’anciens ministres et premiers ministres recyclés en croque-morts de la démocratie.

N’en déplaise à Lucien Bouchard, Amir Khadir avait eu raison de lui accorder le traitement qu’il a reçu à la Cour du roi Pétaud.

La répression, mais avec imputabilité

La guerre en Ukraine nous inonde d’images qui évoquent le pire de l’horreur qui rappelle d’une certaine manière celle observée dans les Balkans dans les années 1990. Mais elle nous a permis de découvrir l’existence d’une réelle opposition citoyenne alors que des milliers d’entre eux et elles ont déferlé dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg pour protester contre ce crime contre l’Humanité commis par un président ivre de son propre pouvoir et pour envoyer le message au peuple ukrainien et au reste de l’Occident qu’ils ne sont pas leur ennemi.

Une dissidence réprimée dans le sang et les emprisonnements arbitraires, évidemment, ainsi qu’une chape de plomb fermée sur la tête des journalistes russes qui seraient tentés de se dresser contre la ligne politique officielle.

Pourtant, certaines images de ces manifestations m’ont rappelé ce qu’on a vu ici-même, que ce soit à Toronto en 2010, à Québec en 2001 et en 2018, en territoire Wet’suwet’en en 2019, à Standing Rock en 2017, contre les Gilets Jaunes en France ainsi qu’à des centaines d’autres manifestations un peu partout en Occident.

La différence fondamentale? Ici, on a accès aux appels d’offres pour les matraques, achetées au prix du gros.

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