Livre

« Je dis aux écolos mainstream d’arrêter d’être snobs »

Dans un récent livre, l’environnementaliste Hugo Séguin espère une alliance entre les groupes écolos institutionnels et les mouvements qui portent des idées radicales – devenues incontournables.

« Là où le mouvement écolo en est actuellement, ce n’est pas suffisant. C’est bien beau ce qu’on fait, nous autres les écolos mainstream, mais ça ne marche pas, notre affaire. Il faut aller plus loin », lance Hugo Séguin en entrevue.

C’est le constat qu’il partage dans son récent livre, Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent, publié chez Écosociété. Ce jugement sévère, il le fait au terme d’un long parcours. Hugo Séguin œuvre depuis plus de 20 ans dans le milieu environnemental. Il est notamment passé par Équiterre, Greenpeace et le Réseau Action Climat, travaillant souvent de près avec les décideurs politiques. Il est aujourd’hui conseiller dans une firme de stratégies et de relations publiques qui collabore avec plusieurs organisations écolos.

Durant les dernières décennies, les idées poussées par les grands groupes environnementalistes ont permis de faire toutes sortes de « gains importants en termes de politiques publiques », mais elles n’ont pas suffi à renverser la tendance générale des crises écologiques, s’inquiète-t-il.

Les écolos réformateurs, dont lui-même, ont contribué à répandre l’idée selon laquelle on pouvait défendre l’environnement en misant sur les forces du marché et en continuant de poursuivre la croissance économique, regrette Hugo Séguin dans son livre. Dans ce cadre, les ajustements technologiques ont été vus comme des solutions faciles pour contrôler la pollution et la destruction des écosystèmes, expose l’auteur.

Toutes ces idées sont aujourd’hui reprises par les États et les entreprises, mais ce nouveau « sens commun » environnemental n’est pas à la hauteur de la menace, se désole Hugo Séguin. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter, tandis que la biodiversité s’effondre à un rythme alarmant, constate-t-il.

L’approbation du grand projet d’exploitation pétrolière Bay du Nord par le gouvernement Trudeau la semaine dernière est l’illustration la plus récente de notre « échec collectif » devant l’urgence climatique, pointe Hugo Séguin.

« Bay du Nord, c’est l’échec de l’écosystème environnementaliste canadien. Le milieu n’a pas su se mobiliser à temps ni déployer suffisamment de force », analyse-t-il « Et ça, dans un contexte politique et économique qui n’était pas prêt, lui non plus, à cette radicalité » : dire non aux nouveaux projets d’hydrocarbures une bonne fois pour toutes.

S’ouvrir aux idées radicales

Selon Hugo Séguin, pour vraiment changer la donne et éviter le pire, les environnementalistes, les décideurs et la population n’ont plus trop le choix.

« Nous devons nous ouvrir à des idées plus radicales que celles qu’on a portées jusqu’à maintenant. »

« Je dis aux écolos mainstream d’arrêter d’être snobs. Et au fond c’est une critique envers moi-même. Nous autres qui étions en contact avec les gouvernements, pour ne pas perdre notre crédibilité et continuer d’être invités dans les cocktails, on ne leur balançait pas les idées moins “présentables” pour qu’ils nous rient dans la face. Donc on a développé un certain snobisme » par rapport aux « idées qui nous donneraient l’air de pestiférés dans les cocktails », raconte l’environnementaliste.

Mais « à un moment donné, il va falloir dire : “j’assume, je vais être un pestiféré et vous écoeurer avec toutes ces idées”. C’est un changement de posture. »

« Notre job comme mouvement environnemental, maintenant, c’est de faire rentrer un gros paquet d’idées qui sont considérées comme radicales par des gens plus conservateurs. D’aider à leur diffusion, de préparer la société à les accepter. Parce que pour le moment, on n’y arrive pas. »

Généralement, ces idées novatrices exigent de transformer notre économie en profondeur, remarque Hugo Séguin : interdire une fois pour toutes l’obsolescence programmée, réduire le temps de travail et la consommation, limiter sérieusement le pouvoir du marché pour laisser plus de place aux besoins collectifs décidés démocratiquement, etc. « On est rendus là », tranche l’auteur, qui consacre un chapitre de son livre à explorer quelques-unes de ces idées.

Par exemple, l’une des solutions phares présentées dans l’ouvrage consiste à nationaliser l’industrie canadienne du pétrole et du gaz pour mieux planifier son déclin rapide. « En faisant ça, tu viens couper la principale source d’opposition à toutes les mesures environnementales, toutes ces cohortes de lobbyistes qui font la file devant la porte des décideurs », expose Hugo Séguin.

« C’est un pouvoir politique que tu viens de détruire de façon radicale. Cette idée-là, elle vient casser un problème à sa source même », s’exclame-t-il.

C’est ainsi que doivent fonctionner les solutions ambitieuses, croit Hugo Séguin : en ciblant les causes profondes des problèmes, plutôt qu’en essayant de minimiser les conséquences. « Une idée radicale, c’est une idée qui identifie ce qui soutient un problème, sa racine, pour l’arracher et la remplacer par autre chose. »

En multipliant de telles initiatives, il serait possible de modifier sérieusement tout le « système » qui est à l’origine des crises environnementales et climatiques, espère-t-il. « Ce qui m’intéresse, ce sont des idées anti-système, ou en tout cas qui s’attaquent à des éléments importants du système pour éventuellement le transformer. »

Soutenir les mouvements citoyens et étudiants

Et ces idées existent déjà, souligne Hugo Séguin, qui n’a pas la prétention de réinventer la roue. Les grandes organisations écolos ont, modestement, « la responsabilité de prendre connaissance de cette radicalité-là et de l’habiliter dans l’espace public, de la diffuser le plus possible, de la pousser au maximum », explique-t-il.

Les idées qu’il nous faut, juge-t-il, prennent notamment corps dans une multitude de petits groupes citoyens, comme ceux qui ont résisté avec succès aux différents projets de pipelines ou de gaz de schiste au Québec dans les dernières années.

« Nous autres, les écolos mainstream, on a appris une maudite leçon » en voyant ces luttes se multiplier, admet Hugo Séguin. « La force environnementale, ce n’était pas nous qui l’avions. C’étaient les groupes citoyens qui avaient poussé comme des champignons dans toute la vallée du Saint-Laurent et sur tout le parcours du pipeline Énergie-Est. C’étaient eux qui drivaient, qui étaient enragés, qui menaient la bataille », s’enthousiasme-t-il.

« À moment donné, on s’est aperçus que la seule chose intelligente qu’on pouvait faire comme grands groupes écolos professionnalisés, c’était de les aider, pas de les contrôler. »

Le même constat s’impose quant aux mouvements étudiants et de jeunes, comme ceux qui ont lancé les journées de grève pour le climat avant la pandémie. « Quand les jeunes sont arrivés avec leurs revendications et leur radicalité, je me souviens d’avoir dit à mes collègues : on leur donne les clés! On se met à leur service! »

« Les jeunes, dites-nous quoi faire, c’est vous maintenant les leaders. Nous autres, ça n’a pas marché notre affaire. Dites-nous comment on peut vous aider. »

Diffuser la radicalité

« Mais une chose dont on s’est rendu compte », relate encore Hugo Séguin, « c’est que les jeunes mobilisés n’en avaient rien à foutre, de nous autres. Ils ne veulent pas nous parler, on n’a pas de dialogue entre nous et les franges plus militantes de cette génération de jeunes. Je les comprends, un peu, mais on s’en inquiète », admet-il.

« On se dit : “vous ne pouvez pas avoir raison tout seuls dans votre coin. Vos idées, votre radicalité, votre leadership, votre énergie, il faut amener ça sur la place publique et que ça prenne encore plus de place”. »

De là l’espoir formulé par l’environnementaliste dans son ouvrage : que les militant·es plus résolu·es nouent des liens avec les écolos institutionnels – et vice-versa – pour favoriser la circulation de leurs idées à grande échelle. C’est, croit-il, le meilleur moyen de convaincre plus largement la population, mais aussi d’agir sur les décideurs.

« Nous autres, on cherche des gains à l’intérieur du système. On comprend le système et on veut le faire évoluer. Il y a des projets de loi, on dépose des mémoires, on va en commission parlementaire, on propose des amendements, tout ça », évoque-t-il. Cette stratégie n’est pas la seule et elle n’est sans doute pas suffisante, reconnaît Hugo Séguin, mais elle pourrait faire partie de l’arsenal des écolos qui promeuvent les idées les plus audacieuses, insiste-t-il.

« Les idées radicales, peut-être qu’on peut aider à les présenter sous un jour plus favorable. Mais l’objectif ce n’est pas de les édulcorer », reconnaît-il.

Évidemment, un tel combat est loin d’être gagné. « Ils vont se faire dire non au départ, ils vont faire rire d’eux autres. Et après ça, quand ils vont devenir menaçants, ils vont subir de la pression et se faire critiquer », admet celui qui est passé par là – et qui a aussi fermé des portes à des idées jugées trop excentriques, à son grand regret.

Ainsi, l’approbation d’un forage comme Bay du Nord par Steven Guilbeault, écolo devenu ministre, montre bien à quel point les institutions peuvent « étouffer la radicalité », reconnaît Hugo Séguin.

« Mais ce n’est pas quelque chose qui est inévitable », croit-il. « Ce n’est pas vrai que nos systèmes politiques sont imperméables à la pression. On a quand même déjà amélioré des vraies choses pour des vrais gens, à travers la politique. »

Même si les intérêts des entreprises et le pouvoir des lobbyistes font la vie dure aux transformations sociales, une meilleure alliance entre les mouvements sociaux et les groupes de pressions institutionnels pourrait bien être victorieuse, espère Hugo Séguin.

« Quelque part, les élus ont peur des gens, parce que ce ne sont pas les lobbys qui les élisent », remarque-t-il. « Plus une idée radicale se diffuse dans la société, plus les instances décisionnelles devront en tenir compte et plus les décisions devront refléter ces idées-là qui auront trouvé leur chemin dans le reste de la société. »

Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent
Hugo Séguin, Montréal, Écosociété, 2022, 232 pages

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