Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne de SOS violence conjugale au 1-800-363-9010 ou consulter leur site Web : sosviolenceconjugale.ca
Les femmes victimes de violence conjugale se réfugient dans des maisons d’accueil où, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit, des intervenantes aux profils différents et aux expertises complémentaires sont là pour les accueillir.
L’adresse de la maison pour femmes victimes de violence conjugale, dont nous franchissons les portes en ce jour de mars, est introuvable sur internet. Nous nous contenterons de dire qu’elle se situe quelque part dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal. Pour s’y rendre, il faut suivre une procédure précise et téléphoner à la directrice du Refuge pour les femmes de l’ouest de l’île, Guylaine, quelques heures avant notre rendez-vous pour connaître le lieu exact.
Cette précaution est prise afin de préserver la sécurité des victimes hébergées dans la maison, mais aussi celle des employées.
« C’est arrivé à quelques reprises que les conjoints se présentent au refuge. Ça a un impact sur les femmes. Tu prends un enfant, une femme, qu’on retire de leur milieu, ils viennent ici pour se cacher, sont restreints, les enfants changent d’école, de garderie, tous les repères disparaissent. Dès que le conjoint connaît l’adresse, on est obligé de les transférer, et de tout recommencer ».
Guylaine
Pour les mêmes raisons de sécurité, les noms de famille des personnes de l’équipe ne sont pas communiqués non plus. Guylaine, elle, est même absente des réseaux sociaux.
De nombreuses actions à mener
Guylaine travaille pour le Refuge pour les femmes de l’Ouest-de-l’Île depuis quinze ans maintenant. C’est elle qui nous accueille et nous présente aux membres de l’équipe ce jour-là. Assise derrière son bureau, dans une pièce chargée d’affaires en tout genre, elle s’excuse pour le désordre. Quand on lui demande ce que fait une directrice d’un hébergement comme celui-ci, elle répond en souriant : « Elle gère la croissance de l’organisme ».
En plus de développer les services et de gérer les équipes, Guylaine est impliquée auprès du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Ce réseau rassemble 43 maisons membres au Québec, dont 5 sur l’île de Montréal. De la loi sur le divorce à la sensibilisation dans les écoles, il y a de nombreuses actions menées.
« On fait beaucoup de représentation, pour essayer d’avoir un impact positif sur tous les enjeux liés aux femmes et aux enfants », dit-elle d’une voix pleine de détermination.
« Dans la grande majorité des féminicides, il n’y a pas de violence physique avant »
La maison pour femmes victimes de violence conjugale est l’endroit où les femmes, accompagnées de leurs enfants lorsqu’elles en ont, sont hébergées, après avoir fui leur conjoint. La violence physique et corporelle n’est pas un critère d’admissibilité, explique Guylaine. « C’est vraiment l’aspect sécuritaire qui prévaut. Dans la grande majorité des féminicides, il n’y a pas de violence physique avant l’acte » précise Guylaine. « C’est pas vrai que la violence est une perte de contrôle, la violence est une prise de contrôle ! Le féminicide, c’est la reprise de contrôle [sur la femme] ».
Cette maison ressemble à une maison comme les autres avec des pièces à vivre partagées : un salon avec une télévision et des jouets pour les enfants. Ce jour-là, la télé est allumée, un dessin animé en espagnol passe à l’écran, tandis que deux enfants la regardent affalés dans le sofa. Dans la cuisine ouverte, leur mère s’affaire. Ils prendront ensuite leur repas dans la salle à manger adjacente.
À l’extérieur, une cour est aménagée pour les beaux jours, avec des fauteuils et un pavillon, un toboggan et un terrain de basket. « C’est une cour qu’on a refaite il y a quelques années, avec l’aide de l’argent des levées de fonds », raconte Guylaine depuis le patio. Une partie du financement de cette maison vient des subventions publiques, mais aussi des levées de fonds, faites tout au long de l’année.
Reconnecter la mère et ses enfants
Cet argent permet de financer le budget du fonctionnement de la maison, et les salaires des employées, dont celui des deux intervenantes mères-enfants et des deux intervenantes femmes.
Au sous-sol de la maison, nous rencontrons Mélissa et Hélène qui partagent le même bureau. Mélissa est devenue intervenante mère-enfant à la suite d’un retour aux études, après avoir travaillé en milieu scolaire puis à la DPJ. Depuis plus de trois ans, elle accueille les femmes et leurs enfants qui arrivent au refuge. Chaque semaine, les deux femmes rencontrent les mamans pour travailler sur la dévictimisation dans le rôle de mère, mais aussi auprès des enfants. « On va travailler le lien entre la maman et ses enfants. On va avoir des rencontres pour les reconnecter, puisque souvent le lien a été brisé » explique Mélissa. « C’est souvent une stratégie du père », ajoute-t-elle.
Leurs missions ne s’arrêtent pas à ça. « Il y a beaucoup beaucoup d’informel » précise Hélène, d’un rire désabusé. Hélène est plus âgée que Mélissa. Bénévole depuis 2009, elle a décidé de suivre la formation pour travailler en maison d’hébergement. « C’était mon désir depuis longtemps » dit-elle en esquissant un sourire. Pour elle, la plus grande difficulté de son travail est lorsqu’il y a une grosse fracture du lien entre la mère et son enfant.
Quitter son foyer, organiser sa séparation, trouver une nouvelle routine prend environ trois mois. Pendant cette période, les femmes peuvent aussi avoir besoin d’un accompagnement juridique. C’est pour cette raison que le Refuge pour les femmes de l’Ouest-de-l’Île a créé, il y a quatre ans, un poste d’intervenante juridique, qu’occupe Audrey, avocate de formation. Ce refuge est le premier établissement à avoir internalisé ce poste.
Avec des expériences en droit criminel, en droit de la famille, en insolvabilité, Audrey cumule plusieurs expertises essentielles pour guider, conseiller et accompagner les femmes de la maison.
« Parfois ça peut être long avant d’avoir un service juridique, et c’est quand elles arrivent à la maison qu’elles ont besoin d’avoir des réponses à leurs questions, et d’avoir du support. »
Audrey
Les femmes ont des besoins différents, explique la juriste, elles peuvent avoir besoin d’être conseillées au criminel quand il y a de la violence, en droit de la famille pour des questions de garde d’enfants, et même parfois en droit d’immigration pour un statut de résidence. « Mon rôle répond à un besoin qui est présent, qui est un peu vide dans le système. Chaque avocat a sa spécialité. Et souvent, les différents tribunaux ont des règles qui ne sont pas nécessairement cohérentes. »
Le système présente quelques failles, comme les tribunaux qui ne se parlent pas entre eux. « On a déjà vu des interdictions de contacts au tribunal criminel, mais une garde partagée au tribunal familial », raconte avec dépit la directrice du refuge.
Toutefois, Guylaine semble positive quant à l’avenir. « Je pense qu’il y a une belle prise de conscience sociale des enjeux qui sont subis par les femmes depuis toujours. Le système commence à comprendre comment les conjoints violents utilisent le système pour revictimiser les femmes ». Pour elle, si le Gouvernement du Québec est capable de développer un tribunal spécialisé qui met fin à ce schéma, cela aidera les victimes à avoir à nouveau confiance dans le système.
Pivot s’est donné pour mission de redonner au journalisme son pouvoir de transformation sociale. Nous racontons les histoires qui comptent, les récits laissés dans l’ombre, à la périphérie de la presse mainstream.
Vous pouvez nous aider à poursuivre notre mission.
La manière la plus directe de nous encourager, c’est de vous abonner à Pivot. Votre argent nous sert à payer les salaires de notre équipe de 4 personnes, les cachets que nous versons aux journalistes pigistes, notre site web, un petit bureau partagé à Montréal, les centaines de recherches de Sam Harper sur le site du Registre foncier du Québec pour débusquer les affaires louches en matière de logement (oui, il faut payer pour ça) et… c’est essentiellement ça!
Vous ne désirez pas vous abonner tout de suite? Une autre manière tout aussi valable de nous encourager, c’est de partager nos articles sur les réseaux sociaux : Un texte de Pivot vous a fait réfléchir? Faites circuler l’information!