Que faire avec une crise du logement?
Dans une chronique intitulée « Que faire avec une locataire de l’enfer? », Patrick Lagacé raconte l’histoire d’une propriétaire qui a imité la signature de sa locataire afin d’accélérer son éviction.
Ce geste serait justifié par l’attitude de la locataire, qui ne payait plus son loyer depuis des mois, qui commettait des « incivilités à répétition » et qui ne se présentait pas à ses audiences au tribunal administratif du logement (TAL), anciennement la Régie du logement.
L’histoire partagée par Lagacé correspond à une demande d’expulsion envoyée au TAL pour non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines. De telles demandes sont souvent opposées à celles où les locataires ont rempli toutes leurs obligations et se voient tout de même menacé·es d’expulsion.
La crise du logement, qui est dénoncée depuis plusieurs mois par les comités logement et par des groupes tels que le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), est associée à une montée importante des expulsions, qu’importe le motif qui les a entraînées.
Le RCLALQ a indiqué, par exemple, que le nombre de ménages qui ont sollicité l’aide d’un comité logement suite à un avis d’éviction a augmenté de 46 % en 2021, par rapport à l’année précédente.
Ces expulsions, qui peuvent prendre la forme d’évictions, de reprises ou de « rénovictions » et qui peuvent impliquer ou non le TAL, ont des effets dévastateurs pour les locataires concerné·es. Ces expulsions réduisent aussi la taille du parc locatif abordable, puisqu’elles ouvrent souvent la voie à une conversion de plex en maisons unifamiliales ou à une hausse drastique des loyers après que les locataires aient été expulsé·es. Il nous semble que le cas présenté par Lagacé est un arbre qui cache une forêt particulièrement préoccupante, dont l’étendue est continuellement niée par le gouvernement Legault.
Nous nous demandons si le fait d’insister sur « ce qu’une poignée de locataires font au Québec » n’éloigne pas notre attention de ce que des milliers de locataires subissent, soit une difficulté croissante à accéder à un logement décent, avec des loyers qu’ils et elles peuvent se permettre.
Lagacé mentionne dans sa chronique que d’expulser des locataires est un « chemin de croix ». Notre implication comme bénévoles au Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) nous a permis de constater que l’expulsion de locataires s’avère souvent d’une simplicité désarmante, surtout lorsque ces derniers et dernières sont issu·es de l’immigration récente ou en situation de marginalité, notamment à cause des barrières linguistiques et sociales et des difficultés d’accès à la justice. Ce constat est d’ailleurs confirmé par des recherches comme celle de Martin Gallié, Julie Brunet et Richard Alexandre Laniel sur les arriérés de loyer.
Le rapport de gestion annuel 2021-2022 du TAL indique que le délai moyen avant d’obtenir une audience pour un dossier de non-paiement du loyer est d’environ dix semaines, ce qui est franchement plus court que ce que Lagacé laisse entendre dans sa chronique. Les employé·es du CAPE conjuguent régulièrement avec des dossiers d’éviction au TAL qui prennent, du début à la fin, à peine deux à trois mois, tandis que les nombreuses évictions qui ne sont pas l’objet d’une audience tendent à se dérouler encore plus rapidement. En outre, l’article 63.2 de la Loi du TAL prévoit différentes mesures qui peuvent être employées pour prévenir l’utilisation abusive ou dilatoire de recours tels que la rétractation.
Notre implication au CAPE nous a également permis de constater que les démarches contre les propriétaires négligents, qui sous-entretiennent leurs immeubles et qui n’effectuent pas les réparations nécessaires, constituent une épreuve terriblement longue et pénible, avec des dossiers qui peuvent prendre des années à se résoudre. Nous pouvons aussi noter que les expulsions pour non-paiement du loyer, qui représentent la majorité des causes entendues au TAL, sont très souvent liées à l’expérience de la pauvreté par les locataires, ce qui les amène parfois à éprouver des difficultés à payer leur loyer à temps, ou à devoir conjuguer avec les nombreux défis associés à la précarité.
Au-delà de la « relation propriétaire-locataire »
Lagacé se demande, à la fin de sa chronique, si la propriétaire qui a imité la signature de sa locataire doit aller en enfer.
Nous pensons qu’une autre question mérite davantage notre attention : comment pouvons-nous nous assurer que chaque personne ait accès à un logement qui réponde à ses besoins et dont le loyer corresponde à sa capacité de payer, afin d’éviter l’enfer de la précarité résidentielle?
Répondre à cette question nécessite d’aller au-delà de la simple « relation propriétaire-locataire », en prenant en compte la crise de l’abordabilité sur le marché locatif privé et la pénurie de logements sociaux et communautaires. Le FRAPRU a ainsi constaté, dans son Dossier noir paru en 2018, que le pourcentage de ménages locataires ayant un trop grand taux d’effort, calculé en pourcentage du revenu alloué au loyer, augmente depuis des années, et que cette tendance affecte plus durement les femmes.
Nous ne pensons pas que la famille dont parle Lagacé méritait ce qui lui est arrivé, mais nous ne pensons pas non plus que de publiciser une manière d’expulser illégalement des locataires soit un geste particulièrement avisé ou responsable, dans un contexte où se multiplient les évictions frauduleuses. Nous pouvons espérer que les discussions à venir sur le logement vont se concentrer sur l’élaboration de solutions pour répondre à un problème structurel, par exemple un contrôle obligatoire des loyers et un réinvestissement dans les services sociaux, plutôt que la diabolisation des locataires, en particulier ceux et celles à faible revenu, et la promotion de tactiques pour les jeter à la rue.
Signataires: Yannick Baumann (doctorant en géographie à l’UdeM), Montserrat Emperador Badimon (professeure invitée à l’INRS) et Emanuel Guay (doctorant en sociologie à l’UQAM)