Manifestation pour la gratuité scolaire : dix ans plus tard, « la lutte est à venir »

Ce 22 mars, c’est en manifestant à nouveau pour la gratuité scolaire que les étudiant·es ont souligné les dix ans écoulés depuis un point culminant de la grève de 2012.

Quelques milliers d’étudiant·es ont pris la rue ce mardi pour défendre l’importance d’une éducation libre et accessible au plus grand nombre. La manifestation signale une volonté de relancer la mobilisation étudiante, mais le mouvement reste à reconstruire.

Le 22 mars 2012, 200 000 personnes prenaient la rue à Montréal pour appuyer la grève étudiante alors en cours. Cette journée de printemps exceptionnellement chaude avait été l’un des moments forts de la grève, la manifestation devenant même l’une des plus importantes de l’histoire du Québec.

Dix ans plus tard, il faisait beaucoup plus frais dans les rues de la métropole, mais environ 2000 personnes se sont tout de même rassemblées à l’appel d’une coalition d’associations étudiantes pour poursuivre le combat pour la gratuité scolaire du primaire à l’université. Une cinquantaine d’associations à travers la province, réunissant 85 000 étudiant·es, étaient d’ailleurs en grève ce mardi.

À 13 h, au point de rassemblement sur la Place du Canada, on croisait autant des étudiant·es du cégep ou de l’université que des manifestant·es ayant participé au mouvement de 2012, certain·es désormais accompagné·es de jeunes enfants. Une grande bannière signalait aussi la présence des Profs contre la hausse, qui avaient soutenu les grévistes il y a dix ans.

Photo : Thibault Carron

Les carrés rouges omniprésents sur les affiches et les manteaux montraient bien dans quelle lignée se plaçait la manifestation. Toutefois, il ne s’agissait pas simplement de commémorer un mouvement passé, mais bien de reprendre une lutte inachevée. « Dix ans plus tard, encore plus fort? », pouvait-on lire sur une pancarte. « 2012-2022 : la lutte est à venir », mentionnait encore un tract distribué dans la foule.

Remettre la gratuité scolaire sur la table

La manifestation visait d’abord à remettre à l’ordre du jour l’idée de gratuité scolaire, une revendication historique du mouvement étudiant, visant à lever une barrière dans l’accès aux études supérieures.

Malgré la mobilisation de 2012, la facture universitaire connaît une « hausse perpétuelle », d’un peu plus de 100 $ par année en moyenne, déplorent les associations derrière la manifestation. Cela dit, les droits de scolarité restent moins élevés qu’ils l’auraient été sans la grève de 2012, remarquent les associations. « Les résultats de la mobilisation étudiante sont clairs : la lutte fonctionne », peut-on lire dans l’invitation à manifester.

La rémunération des stages et la justice climatique, évoquées sur plusieurs affiches et dans les slogans, faisaient aussi partie des revendications portées par les manifestant·es.

« Il y a une nostalgie de 2012, c’est sûr, mais on est en 2022 et on a des combats à mener », affirme Simon, étudiant au doctorat en psychologie. « On reprend l’héritage de celles et ceux qui étaient là avant nous, pour ne pas qu’il soit abandonné », assure quant à elle Magalie, étudiante au baccalauréat en littérature.

« Si on est là aujourd’hui, ça veut dire qu’il n’y a toujours rien qui a changé, au fond », juge sa collègue Madeleine. « Les frais de scolarité sont toujours plus chers. Les gens s’endettent avec les prêts et bourses, ou ils s’épuisent en travaillant à deux jobs en même temps pendant qu’ils étudient. »

Pour Gabrielle aussi, la mobilisation est plus nécessaire que jamais : « On voit les inégalités sociales qui se creusent, ça menace d’autant plus l’accessibilité des études », estime la doctorante en psychologie.

Photo : Thibault Carron

Pour elle, le passage à l’université contribue à développer une réflexion critique sur le monde, à un moment où une telle réflexion est urgente. « Mais c’est important que ce ne soit pas juste une strate de la société qui ait accès à ça », insiste-t-elle. Elle regrette aussi que les programmes d’études soient de plus en plus orientés par les seuls besoins du marché du travail : « Tout devient pris dans l’engrenage des coûts, des économies et des profits. Pourrait-on retrouver un peu d’humanité? » demande-t-elle.

Un idéal partagé par Antony, étudiant en philosophie : « L’éducation, c’est le nerf de la guerre », affirme-t-il. « Actuellement, le système d’éducation fait partie des problèmes, mais c’est aussi par là que la solution passe. Je crois qu’il y a un lien entre l’éducation et notre capacité collective à comprendre les enjeux sociaux dans toute leur complexité, comme la crise climatique. »

Un mouvement à reconstruire

Pour celles et ceux qui étaient présent·es en 2012, il est encourageant de voir que la lutte se poursuit, mais le mouvement étudiant doit encore être reconstruit pour espérer remporter des victoires.

Photo : Thibault Carron

Après une longue pause, la mobilisation avait repris dans les dernières années, notamment autour de la cause climatique, mais elle a sérieusement ralenti depuis la pandémie, remarque Sébastien, enseignant au Collège Montmorency, qui soutenait les étudiant·es en 2012 et manifestait encore avec elles et eux ce mardi. « Est-ce que c’est juste la COVID? Est-ce que c’est le retour de la passivité? » s’interroge-t-il.

Rappelons aussi que les organisations étudiantes nationales, qui coordonnaient les campagnes de mobilisation, ont perdu en force dans la dernière décennie. L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), qui réunissait la frange la plus radicale de mouvement, a notamment été dissoute en 2019.

« Il y a eu un trou dans la transmission des connaissances », constate Antony, qui avait déjà fait la grève il y a dix ans lors d’un premier passage à l’université, en sciences politiques. Il constate autour de lui un faible engagement des étudiant·es, mais surtout un manque de familiarité avec les méthodes de mobilisation, par exemple le fonctionnement des associations et des assemblées générales.

Cette fragilité du mouvement étudiant est « inquiétante » à ses yeux. « Tout est en place pour que les mesures néolibérales puissent revenir, se répéter. »

« En même temps, j’ai confiance que n’importe quelle mobilisation amène quelque chose », nuance-t-il, en pointant la manifestation qui l’entoure. « Ça crée des discussions, ça soulève des questions et ça amène des réponses, ça relance le mouvement. »

C’est bien l’espoir que partagent d’autres manifestant·es. « Pour moi, les événements comme aujourd’hui, ça permet de croire qu’on peut avoir un impact sur notre monde », dit Gabrielle. « On veut retrouver le sens du possible, contre les horizons qui ont l’air tellement bouchés ces temps-ci », ajoute Simon. « Il faut y croire pour se mettre en action… mais il faut aussi se mettre en action pour pouvoir y croire. »

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