Les terres agricoles du Québec valent de plus en plus cher chaque année depuis des décennies et le phénomène s’est encore accéléré dans la dernière année. Cela favorise les gros joueurs industriels, au détriment de la relève et des paysans plus modestes.
La valeur moyenne des terres agricoles québécoises a grimpé de 10 % l’an dernier, selon les calculs de Financement agricole Canada (FAC), société d’État fédérale. En comparaison, la hausse moyenne au Canada était d’environ 8 %.
Le phénomène était particulièrement marqué près des grandes villes, dans Chaudière-Appalaches (+15 %), en Outaouais (+14 %) et en Montérégie (+14 %). Dans certaines régions, les valeurs ont augmenté plus lentement, mais surtout parce qu’elles avaient subi une forte croissance dans les dernières années, souligne FAC. C’est le cas de l’Estrie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, du Centre-du-Québec et de Mauricie-Portneuf.
C’est en Montérégie que les terres agricoles sont les plus chères : il faudrait désormais débourser entre 9 400 $ et 26 800 $ pour acheter une seule acre (environ 63 m sur 63 m).
Valeur des terres agricoles au Québec, 2021
Cela fait maintenant 36 ans que les terres québécoises se font toujours plus chères chaque année, signale FAC. Après avoir connu un sommet en 2012 (+ 27,4 %), la hausse avait ralenti, sans pour autant s’arrêter. Elle avait été à son plus modéré en 2019 (+ 6,4 %), mais avait déjà recommencé à s’accélérer l’an dernier (+ 7,3 %).
Ce nouvel emballement du marché des terres s’explique notamment par la hausse des prix de plusieurs produits agricoles de base comme les céréales, indique FAC. Une forte demande pour les terres agricoles, malgré une faible disponibilité, serait également en cause.
Inquiétant pour la relève et l’agriculture à échelle humaine
Il s’agirait d’une bonne nouvelle pour les propriétaires de terres, si on en croit Financement agricole Canada. En revanche, la situation est plus inquiétante pour la relève, et particulièrement pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans des petites productions.
« C’est une barrière à l’entrée », lance Gaspar Lépine, paysan maraîcher à Saint-Louis, en Gaspésie, et administrateur à l’Union paysanne. « Et ceux qui arrivent à s’acheter une terre se retrouvent avec une énorme dette à rembourser, un boulet qu’ils doivent traîner. »
« Ça favorise les gros joueurs industriels », ajoute-t-il. « Quand une entreprise a beaucoup de capital, elle peut faire valoir sa supériorité financière, s’approprier des terres et y instaurer une filière industrielle », explique Gaspar Lépine. « C’est dur pour les fermes à échelle humaine. »
Il rappelle que l’état du territoire agricole est déjà peu favorable aux petites fermes, puisque les petites terres se font de plus en plus rares. Les grands exploitants agricoles ont en effet tendance à racheter les terres avoisinantes, ce qui fait augmenter sans cesse la taille des fermes. La hausse des prix alimente encore ce phénomène en donnant un avantage aux plus gros joueurs lorsque des petites terres sont disponibles.
« Tout ça nuit à la diversification de l’agriculture et nourrit le modèle industriel en place », qui a pourtant de graves conséquences écologiques et contribue à la dévitalisation sociale des régions, soutient Gaspar Lépine. « Les grands exploitants y gagnent, mais tout le monde y perd, parce que l’agriculture industrielle, elle néglige le patrimoine paysan et elle provoque la dégradation des terres », pose-t-il.
Différentes stratégies pourraient être mises en place pour freiner la hausse constante de la valeur des terres tout en aidant les petites fermes, indique le représentant de l’Union paysanne. Permettre le morcellement des terres agricoles (ce que limite aujourd’hui fortement la loi québécoise) pourrait faire baisser un peu les prix en augmentant le nombre de terres disponibles, croit-il. Des mesures visant à favoriser les premier·ères acheteur·euses plutôt que les entreprises déjà établies seraient aussi bénéfiques, estime-t-il.
S’ÉTABLIR LOIN DES GRANDS CENTRES?
C’est près des grandes villes que les terres agricoles valent le plus cher. C’est aussi là qu’on trouve le moins de petites terres, relate Gaspar Lépine. Cela signifie-t-il que les petit·es paysan·nes auraient intérêt à s’installer en Gaspésie ou en Abitibi?
« Ça pose des difficultés pour la mise en marché, c’est d’ailleurs beaucoup pour ça que les terres sont moins chères. Plus tu t’éloignes des grands centres, plus la distribution est compliquée », explique Gaspar Lépine.
Malgré tout, il y a de l’avenir dans les régions plus éloignées, selon lui. Cela passe toutefois par une conception différente de l’agriculture, où il ne s’agit pas simplement de « vendre des légumes », mais bien de proposer une production alimentaire ancrée dans les communautés. « Si on se dit que les petites fermes retournent là où c’est dévitalisé, pour aider à ranimer des régions, ça c’est du progressisme agricole », lance Gaspar Lépine.
« Encore faut-il que le reste suive, les services, les CPE et compagnie », remarque-t-il. « L’agriculture n’existe pas toute seule de son bord. »