Il n’existe aucune définition, et encore de moins de réglementation, cernant exactement ce que sont les fonds « responsables » et comment ils devraient être gérés. Des organismes se portant à la défense de l’environnement et les régulateurs financiers mettent en garde les investisseur·euses contre le brouillard qui règne dans certains portefeuilles de placements des institutions financières… et contre ce qui s’apparente surtout, pour certains, à de l’écoblanchiment.
Les investissements responsables (IR) et les placements qui intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont la cote au Canada. Un rapport des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) publié en janvier 2022 indique que « l’intérêt pour l’investissement ESG s’est considérablement accru au pays tant chez les investisseurs individuels qu’institutionnels ». Il s’agit pour les investisseurs non plus de se constituer un portefeuille uniquement en fonction des critères de rentabilité économique des entreprises, mais de faire des choix aussi en fonction des impacts de ces dernières sur l’environnement et le climat, des normes de travail qu’elles appliquent ou encore de la manière dont elles sont dirigées.
Citant un rapport publié en 2020 par la Global Sustainable Investment Alliance, le document des ACVM souligne, que comparativement aux États-Unis, au Japon et à l’Australie, c’est au Canada « que l’investissement durable a connu la plus forte progression par rapport aux deux années précédentes, soit 48% ». Au moment de la publication du rapport, le Canada comptait la plus forte proportion d’actifs dits durables, soit 62%.
En 2020, « l’actif des fonds communs de placement de particuliers issus de [l’investissement responsable] est passé de 11,1 à 15,1 milliards de dollars » et l’année suivante, la valeur des « fonds durables » canadiens s’élevait à 18 milliards de dollars à la fin du premier trimestre.
Mais les portefeuilles dits IR sont loin d’être tous égaux, voire même tous vraiment écolos: certains recèlent en eux des parts d’entreprise plus proches de l’industrie du carbone que l’on pourrait croire.
« À la lumière des entreprises qu’il peut y avoir [dans certains portefeuilles], il y a moyen d’avoir des critiques, voire des questionnements à plusieurs égards. C’est toujours un enjeu de transparence et de catégorisations qui sont parfois aléatoires », souligne Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada.
La question environnementale a depuis longtemps été reprise par les entreprises pour donner une « plus value » à leurs produits et services, parfois de façon douteuse, et les fonds d’investissements, nous dit Patrick Bonin, n’échappent pas à la tendance d’écoblanchiment (ou greenwashing).
En effet, il suffit d’entrer dans un moteur de recherche les termes « investissements responsables » ou « ESG » et le nom de n’importe quelle grande institution financière au Québec pour trouver des produits de placements proposés aux clients de chacun de ces établissements.
Pas de définition officielle
Or, puisqu’il n’y a pas de définition officielle qui réglemente ce que constitue l’investissement responsable ou durable, il est possible que certaines entreprises dans ces portefeuilles aient des activités qui ne correspondent pas à des objectifs environnementaux, affirme M. Bonin.
Ce dernier prend en exemple le fait que le fonds SociéTerre de Desjardins incluait dans son portefeuille la pétrolière Suncor et l’exploitant minier Goldcorp jusqu’en 2015.
« Le seul moyen de sortir de cette dimension arbitraire [ … ] c’est d’exiger des données de la part de ces entreprises-là et un plan d’affaire démontrant que leur modèle économique cadre avec la [nécessité de maintenir le réchauffement climatique sous] 1,5 degré Celsius. »
Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada
C’est aussi ce que soulèvent les ACVM dans le document cité plus haut. Après avoir analysé les documents d’information réglementaire et les communications publicitaires de 32 fonds, celles-ci ont constaté plusieurs failles quant à la qualité de l’information transmise aux investisseurs.
Effectivement, les ACVM ont noté que la moitié des fonds avaient omis d’expliquer les facteurs ESG de leur stratégie d’investissement. « Ces fonds ont aussi passé sous silence le mode d’évaluation de ces facteurs », note-t-on.
Plusieurs autres manquements quant au fonctionnement des stratégies ESG sélectionnées ou aux risques financiers sont mis en lumière dans le document.
Les ACVM concluent que si les « obligations d’information » auxquelles se soumettent volontairement les institutions financières pour informer leurs clients sur les portefeuilles ESG sont suffisantes, « qu’il y aurait lieu de fournir des indications réglementaires expliquant leur application afin d’améliorer la qualité de l’information et des communications publicitaires relatives à ces facteurs ».
Peu encadré
Questionnée sur l’absence de normalisation des fonds responsables et ESG, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a rappelé dans un courriel qu’elle « ne prescriv[ait] pas l’utilisation de l’une ou l’autre [des] stratégies ESG » par les institutions financières.
Il en existe en effet plusieurs, comme le filtrage négatif (soit l’exclusion de certaines compagnies), le filtrage positif (la sélection de fonds privilégiés) ou l’engagement actionnarial (choix des encadrements par les actionnaires).
C’est au fonds qu’il revient de choisir la stratégie et de fournir l’information aux clients afin qu’ils puissent faire des choix éclairés. Cependant, il n’y a rien qui contraint les institutions à adopter des politiques d’investissement particulier lorsqu’elles emploient les appellations « d’investissement responsable » ou ESG. C’est donc au client que revient la responsabilité de faire le bon choix.
« Nous croyons que par une information de qualité les investisseurs seront en mesure de bien comprendre les différentes stratégies ESG employées par les fonds et ainsi, accompagné par leur conseiller, prendre des décisions d’investissement éclairées. »
l’Autorité des marchés financiers (AMF) par courriel
Enfin, l’AMF, qui fait partie des ACVM, souligne que son personnel « maintiendra sa surveillance des documents d’information réglementaires des fonds d’investissement et entreprendra, s’il y a lieu, des projets règlementaires ».
Pour sa part, M. Bonin croit que pour l’instant c’est un travail « fastidieux » qui attend les citoyens qui voudraient réduire leur empreinte carbone au travers de leurs investissements.
« Le filtrage [des entreprises] qui est fait préalablement par les institutions entraîne certainement une première sélection, mais il faut vraiment regarder chacune des entreprises dans lesquelles on investit et faire sa propre évaluation. »