Le rapport du coroner sur le décès de Pierre Coriolan publié la semaine dernière a relancé de longs débats sur les réponses de la police aux crises de santé mentale. Le coroner, Luc Malouin, a vivement critiqué l’intervention policière qui a mené à la mort de Coriolan en 2017. En rejetant la faute sur les policiers et leur manque de formation, il n’a cependant pas réfléchi au recours de plus en plus meurtrier à la police pour régler les problèmes de santé mentale.
Les circonstances de la mort de Pierre Coriolan sont bien connues. Le 27 juin 2017, deux de ses voisins dans un grand immeuble d’appartements de Centre-Sud, à Montréal, ont indépendamment appelé le 911 pour signaler que Coriolan brisait des objets dans son appartement et souffrait probablement d’une crise de santé mentale. À l’arrivée des policiers, ils ont trouvé la porte de l’appartement de Coriolan ouverte et l’individu assis immobile sur son canapé, un objet dans chaque main. Les objets se sont avérés être un couteau et un tournevis. Debout à la porte, les policiers ont crié « Police! » et « Lâche tes armes ». Coriolan s’est alors levé et il s’est dirigé vers la porte, les deux objets à la main.
La police a fait plusieurs tentatives infructueuses pour maîtriser Coriolan, en utilisant à la fois une arme à impulsion électrique (Taser) et une arme intermédiaire d’impact à projectile. Enfin, deux agents ont tiré un total de trois coups de feu dans son corps. Des ambulanciers, appelés sur les lieux, trouvèrent Coriolan inconscient et ne purent le ranimer. Il a ensuite été emmené au Centre universitaire de santé McGill, où il a finalement été déclaré mort. La cause du décès a été identifiée comme étant « une hémorragie secondaire au passage d’un projectif d’arme à feu ».
Des événements comme ceux-ci sont de plus en plus fréquents à Montréal et à travers le Canada. Une enquête de la CBC a révélé que 42 % des personnes tuées par la police au Canada depuis 2000 souffraient de maladie mentale. Cela fait environ 235 morts… et la situation ne fait qu’empirer. Le nombre annuel de personnes tuées par la police a doublé au cours des vingt dernières années.
Il y a des raisons qui expliquent pourquoi les meurtres par la police augmentent. Dans les années 1960, le Canada a entamé un long processus de « désinstitutionalisation » des personnes atteintes de maladie mentale. Ce processus visait à permettre aux gens de vivre une vie meilleure dans la communauté. Sauf que les services sociaux et de santé mentale promis n’ont jamais été fournis de manière adéquate. Par conséquent, dès les années 1980, les professionnels et les groupes communautaires ont attiré l’attention sur une augmentation des crises de santé mentale et sur le fait troublant que la police était la principale réponse à ces crises.
La situation était grave à l’époque, et c’est pire maintenant. Les policiers ne sont pas des professionnels de la santé mentale, leur présence même aggrave les situations et leur équipement (les armes à feu) peut transformer une situation gérable en une rencontre fatale.
Et le risque de décès est encore plus grand pour les personnes noires et les Autochtones. Comme l’explique le militant et artiste torontois Syrus Marcus Ware, le rôle actuel de la police signifie que « être noir, autochtone et fou [une personne avec une maladie mentale] dans l’espace public est souvent une condamnation à mort ».
Malheureusement, le rapport du coroner sur la mort de Pierre Coriolan n’a prêté aucune attention à ce contexte plus large. Le coroner a vivement critiqué l’intervention de la police, concluant qu’elle était trop précipitée et mal supervisée, et a imputé la mort à une formation policière inadéquate. Il a cependant omis de se demander si la police est la meilleure réponse à une situation où un homme en détresse casse des objets dans son appartement ou si un professionnel de la santé mentale aurait pu réagir différemment face à un homme assis immobile sur son canapé.
Le coroner aurait pu remarquer que les villes d’Amérique du Nord élaborent des réponses non policières et plus appropriées aux appels de santé mentale. L’exemple le plus célèbre est l’équipe CAHOOTS à Eugene en Oregon. L’équipe, composée de travailleurs communautaires et de la santé, répond chaque année à environ 24 000 appels, y compris des appels liés à la maladie mentale, à la consommation de drogue et à l’itinérance. L’équipe fournit les soins dont les gens ont besoin, réduit considérablement les interventions policières à risque et permet à la ville d’économiser 8,5 millions $ par an.
Une série d’autres villes, dont Toronto, développent des modèles inspirés de CAHOOTS. À Toronto, le « Service de soutien en cas de crise » non armé et communautaire répond aux appels de santé mentale dans trois grands secteurs de la ville, ainsi qu’aux appels impliquant des Autochtones de toute la ville. Le nouveau service fait partie d’une réinvention plus large des interventions d’urgence. Toronto a entamé un processus d’évaluation de la réponse appropriée aux appels au 911 en général et de développement d’équipes d’intervention non policières qui seront financées par une réaffectation du budget du service de police.
À Montréal, la police répond à environ 50 000 appels de santé mentale chaque année. Presque tous ces appels pourraient être détournés par les répartiteurs du 911 vers une équipe d’intervention non policière plus appropriée.
Il y a un an, la Coalition pour le définancement de la police a travaillé avec plus de 100 groupes locaux pour élaborer une proposition d’équipe d’intervention d’urgence, qui sera financée en réaffectant une partie du budget de la police. Un tel modèle améliorerait les soins prodigués aux personnes en détresse, réduirait considérablement le nombre de meurtres par la police et éliminerait une activité que la plupart des policiers préféraient ne pas entreprendre. C’est le moment d’agir – avant le prochain meurtre.