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Santé : les ménages québécois payent deux fois plus cher en assurances privées qu’il y a dix ans

Dans le système de santé québécois, les acteurs privés occupent nettement plus de place aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, montre un nouveau rapport.

Les établissements privés embauchent la moitié du personnel soignant, tandis que les ménages doivent assumer eux-mêmes des frais de santé de plus en plus importants, notamment en assurances privées. La pandémie a renversé un peu certaines tendances à la privatisation, mais le gouvernement Legault a déjà annoncé une « refondation » du système de santé qui pourrait relancer la progression du secteur privé.

La progression du secteur privé en santé au Québec a fait l’objet d’un bilan préparé par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), à partir des données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) et de Statistique Canada.

En quarante ans, la part des frais de santé assumée directement par les ménages ou par leurs assurances privées a connu une croissance importante. Entre 1979 et 2012, la part de ce financement privé est passée de seulement 18 % à tout près de 30 %. Elle est redescendue légèrement dans les dernières années, mais se maintenait encore autour de 27 % en 2019. Soulignons que depuis 2016, les dépenses publiques en santé augmentent plus rapidement que celles du privé.

En 2019, les dépenses privées en santé représentaient plus de 15 milliards $. Ces dépenses ont d’abord servi à se procurer des médicaments (6 milliards $), puisque plus de la moitié des coûts pour les médicaments retombaient sur les particuliers ou leurs assurances. Tout près de 5 milliards $ ont aussi été payés pour consulter divers·es professionnel·les de la santé autres que des médecins, comme des dentistes (3 milliards $), des optométristes (0,9 milliard $) ou encore des psychologues.

Qui plus est, les primes moyennes que les Québécois·es doivent verser aux assureurs privés ont quasiment doublé en moins de dix ans. Ces primes sont passées de 614 $ à 1144 $ par année entre 2010 et 2019, un bond de 87 %. En comparaison, les dépenses totales des ménages n’ont augmenté que de 28% sur la même période.

« C’est très difficile de contenir les coûts des assurances de santé privées », remarque en entrevue Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS et auteur de la recherche. Il mentionne que plusieurs études ont montré que les assurances privées étaient inefficaces d’un point de vue économique, les coûts étant notamment gonflés par la complexité des programmes et la nécessité de dégager une marge de profit.

De manière générale, indique le chercheur, « miser sur le financement privé en santé coûte cher », et tout particulièrement pour les ménages moins nantis. « Ça crée des problèmes d’accès terribles, parce que la possibilité d’obtenir certains soins finit par dépendre de l’argent qu’on a », souligne-t-il.

« Pourtant, des soins de santé, ce ne sont pas des besoins de luxe. »

Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS et auteur de la recherche

Il rappelle aussi que l’assurance maladie publique avait d’abord été créée avec pour objectif d’offrir une couverture universelle, incluant les soins dentaires, de la vue, etc. Cette option devrait être remise sur la table, juge-t-il. « Ça reste la meilleure manière d’assurer à la fois l’accessibilité des soins et l’efficacité de la couverture. » 

Prestation privée des soins : garanties de qualité insuffisantes

Par ailleurs, la prestation des services de santé est de plus en plus assurée par le secteur privé depuis une trentaine d’années. Entre 1988 et 2019, la part du personnel de santé travaillant dans des établissements privés ou à son compte est passée de 40 % à 52 %, une croissance de près d’un tiers.

Autrement dit, juste avant la pandémie, plus de la moitié des travailleurs·euses de la santé œuvraient dans le privé plutôt que dans le public.

Les soins privés incluent tous ceux qui ne sont pas dispensés par des organismes publics, incluant les cas où les frais sont payés par l’État. « Au Québec, le réseau de la santé et des services sociaux fait appel à un grand nombre d’établissements privés, même si le financement des services qu’on y offre est public. C’est le cas par exemple des groupes de médecine familiale (GMF) », illustre Guillaume Hébert dans son portrait.

Cela n’est pas sans conséquence, précise-t-il en entrevue. « Durant la pandémie, on s’est rendu compte des problèmes qu’il pouvait y avoir avec le système privé. Dans les CHSLD, les pires histoires qu’on a vues ont eu lieu dans des établissements privés » comme la résidence Herron, pointe-t-il.

Selon lui, le secteur privé peut fournir de bons soins de santé, mais les garanties ne sont pas suffisantes. « Le privé est toujours susceptible de prendre des décisions qui répondent d’abord à ses propres intérêts. Et ceux-ci ne correspondent pas toujours à l’intérêt collectif. Ça peut devenir rentable de couper dans la qualité des soins. »

La pandémie change-t-elle la donne?

La pandémie a provoqué un renversement de certaines de ces tendances, pour l’année 2020 à tout le moins. Selon les données préliminaires de l’ICIS, l’embauche de personnel a été suffisamment importante pour que la majorité des travailleur·euses de la santé (51 %) se retrouve désormais dans le réseau public. Les dépenses publiques en santé ont aussi bondi (+27 %), ce qui a fait reculer la part du privé.

Guillaume Hébert souligne qu’il est encore tôt pour savoir si cette nouvelle tendance se maintiendra. Il croit toutefois que la crise sanitaire pourrait avoir convaincu les dirigeants de l’importance d’un système de santé public solide.

Donner les moyens au réseau public

Le gouvernement Legault a récemment promis une « refondation » complète du système de santé québécois. Les informations disponibles indiquent que le gouvernement voudrait entre autres miser sur une place encore plus grande pour le privé pour améliorer la prestation des services.

« On ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas de problème dans le réseau public », reconnait Guillaume Hébert. « Mais il faut faire attention avant de présenter les soins privés comme une solution miracle », met-il en garde.

« On le voit, du privé en santé au Québec, ça fait longtemps qu’il y en a, et en masse. Et ça n’a pas réglé nos problèmes, au contraire, ça les a aggravés. »

Selon le chercheur, le système public pourrait répondre mieux aux besoins si on lui en donnait les moyens « plutôt que de créer un réseau privé parallèle qui lui fait compétition ».

Et il ne s’agirait pas simplement d’augmenter le financement du système public, analyse Guillaume Hébert. En fait, selon lui, il serait déjà possible de faire un meilleur usage de « quelques milliards » en payant moins cher pour les médicaments ou pour les salaires des médecins, par exemple.

Il souligne aussi les importantes difficultés administratives auxquelles fait face le réseau public, notamment depuis la réforme Barrette de 2015 qui a centralisé la gestion et « ajouté des couches administratives » superflues. « Les gens critiquent la bureaucratie dans le système public, et ils ont raison. Mais la solution ce n’est pas pour autant de déléguer au privé. »

Il estime qu’un réseau public reposant sur davantage de « cliniques populaires décentralisées », misant sur « la participation citoyenne et  une gestion horizontale » entre les différent·es professionnel·les de la santé, à l’image des CLSC, serait déjà mieux outillé pour répondre aux besoins de la population.

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