La guerre au temps des wokes

Pour des vétérans de la Guerre froide comme moi, les derniers jours ont fait remonter à la surface des post-traumatismes qu’on croyait jugulés à tout jamais. On repasse en boucle les images de films d’horreur des années 1980, comme Le jour d’après ou pire, Le soleil noir. On se remet à calculer s’il serait mieux de mourir sur le coup pulvérisé par le souffle de feu de l’explosion atomique ou de survivre dans les ruines ou caché dans un chalet lointain… Mais comment et pour combien de temps ? Pour tenter de sortir de cette confusion émotionnelle et mentale, on essaie de se raccrocher à des bribes de normalité et on se demande où en étions-nous avant cette pluie de bombes ?

Il y avait bien la pandémie, évidemment, et le « convoi de la liberté » mobilisé contre les mesures sanitaires, ou encore le changement de direction à la tête des Canadiens… Mais il y avait autre chose de plus important, de plus inquiétant, rappelez-vous bien : les wokes détruisaient tout, de l’Université à la société en passant par la civilisation judéo-chrétienne. Ces wokes menaient une guerre contre l’homme blanc hétérosexuel, comme l’affirmait parmi d’autres le polémiste français Pascal Bruckner. Dans son essai Un coupable presque parfait : la construction du bouc émissaire, paru en 2020, il déplorait que « [p]our trois discours, néoféministe, antiraciste, décolonial, le coupable désormais est l’homme blanc ». Évoquant une éventuelle « élimination des hommes », il imaginait un futur proche où les quelques survivants seraient parqués dans des zoos.

De telles frayeurs ne sont pas nouvelles. Pensez aux discours des anti-suffragistes au début du XXe siècle qui s’opposaient aux droits des femmes de voter et d’être élues. Céder à pareille demande, c’était accepter la fin de la famille et donc de la nation elle-même, mais aussi la fin de la puissance militaire et du maintien des empires. Car imagine-t-on une femme à la tête d’une armée, disait-on alors?

Puis les femmes ont obtenu ou arraché le droit de voter et d’être élues vers la fin de la Première Guerre mondiale, en Russie avec la chute du Tsar, en Allemagne avec la défaite du Kaiser, au Canada, aux États-Unis et en Grande Bretagne, puis plus tard en France et au Québec. Et nous voilà environ un siècle plus tard, avec une nouvelle guerre qui éclate en Europe. Et qui voit-on à la manœuvre? Que des hommes blancs hétérosexuels (à ma connaissance).

À la tête de la Russie, Vladimir Poutine et son ministre de la Défense (ah! ah!) Sergueï Koujouguétovitch Choïgou. À la tête de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky et son ministre de la Défense (eh! oui…), Oleksi Reznikov.

Ces deux présidents n’envoient que des hommes à la table de négociation, dans les faits un espace non-mixte, un boys’ club.

Vladimir Poutine a pu compter sur l’aide du président de la Biélorussie, Alexandre Grigorievitch Loukachenko. Aux pourtours du conflit, on retrouve le président de la Pologne Andrzej Duda et le président du Conseil des ministres Mateusz Jakub Morawiecki, le président de la Hongrie János Áder et son premier ministre Viktor Orbán, le président de la Roumanie Klaus Iohannis et son premier ministre, le général Nicolae Ciucă. 

À la tête des États qui jouent la carte de la diplomatie et des sanctions économiques contre la Russie, Joe Biden aux États-Unis, Justin Trudeau au Canada, Olaf Scholz en Allemagne, Boris Johnson en Grande Bretagne, Emmanuel Macron en France, qui est aussi à la tête de l’Union européenne. Le chef de l’OTAN Jens Stoltenberg est sur le pied de guerre et le Portugais António Guterres, secrétaire général de l’ONU, répète ses appels au cessez-le-feu, en vain.

Heureusement qu’on s’intéresse aussi aux réactions du président chinois Xi Jinping, cela ajoute à la situation une petite touche « équité, diversité, inclusion ».

Oui, je sais! Il y a des femmes un peu partout dans cette guerre, y compris parmi les journalistes qui la couvrent et les troupes ukrainiennes qui la font. Elles sont partout, certes, sauf là où se prennent les grandes décisions. Ça, mesdames, ce n’est pas pour vous, c’est un espace non-mixte, un boys’ club, le plus puissant et dangereux qu’on puisse imaginer.

Tout cela me rassure, finalement… Au rythme où va l’histoire, les wokes n’auront peut-être pas tout détruit dans 100 ans. Il restera même sans doute quelques hommes blancs hétérosexuels, et pas qu’au zoo. Mais seulement si aujourd’hui, un de nous ne déclenche pas la guerre atomique.