Hydro-Québec veut financer le gaz naturel en augmentant votre facture d’électricité

La société d’État prévoit monter ses tarifs et verser 400 millions $ à l’entreprise gazière Énergir, pour la compenser pour une électrification partielle du chauffage des bâtiments québécois.

Prétendant lutter contre les changements climatiques, Hydro-Québec et Énergir veulent s’allier et promouvoir le chauffage « biénergie », à l’électricité et au gaz. Le projet est critiqué par plusieurs groupes, selon qui il encourage l’industrie fossile tout en faisant payer les citoyen·nes pour des mesures de transition insuffisantes. En effet, le plan comprend d’importantes compensations pour Énergir, à l’heure où l’entreprise planifie une expansion de son réseau.

À la demande du gouvernement, Hydro-Québec et Énergir (anciennement Gaz Métro) ont élaboré un projet pour soutenir le chauffage résidentiel biénergie. L’objectif est d’inciter les client·es qui se chauffent au gaz naturel à passer à l’électricité, mais en continuant de miser sur le gaz dans les périodes de pointe, lorsque la demande est trop forte auprès d’Hydro-Québec. 

La société d’État prévoit verser environ 400 millions $ à Énergir pour essuyer les pertes que subirait théoriquement l’entreprise gazière. Ces compensations s’étireraient au moins jusqu’en 2030 et peut-être jusqu’en 2041. Plus de la moitié serait financée par des hausses de tarifs imposées aux client·es d’Hydro-Québec : 255 millions $, selon un calcul de l’Union des consommateurs.

Le projet est à l’étude devant la Régie de l’énergie, qui tient des audiences du 21 au 26 février. Une entente avait déjà été signée entre les deux parties à l’été 2021. Les deux partenaires envisagent aussi d’étendre le modèle aux bâtiments commerciaux et institutionnels. 

Rappelons que la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, a longtemps été dirigeante chez Gaz Métro avant d’être nommée à la tête de la société d’État par le gouvernement Legault en 2020.

Cette collaboration entre Hydro-Québec et l’entreprise gazière est dénoncée par des groupes écologistes. Ils y voient une manière de faire durer la dépendance du Québec aux hydrocarbures. « À première vue, ça parait bien », remarque Jacques Rousseau, secrétaire général du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ).

Mais en vérité, « ce qu’on fait, c’est qu’on s’organise pour utiliser du gaz pour de nombreuses années », souligne-t-il. « La “solution” de la biénergie, c’est comme renoncer à combattre les changements climatiques. »

« Sous prétexte de diminuer les émissions de GES à court terme, ce projet viendrait en fait verrouiller l’utilisation du gaz fossile » à long terme, analyse aussi Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat chez Nature Québec. « On vise pourtant la carboneutralité d’ici 2050. C’est complètement à l’inverse de ce qu’il faudrait faire. »

Le secteur des bâtiments, qui représente 10 % des émissions de GES au Québec, serait pourtant l’un des plus faciles à « décarboner », selon un tout nouveau rapport, réalisé par l’Institut de l’énergie Trottier de l’école Polytechnique. Il suffirait d’éliminer complètement et rapidement le chauffage fossile, indique le rapport. Cela serait possible en recourant à des technologies existantes permettant de gérer la consommation électrique en période de pointe, comme les pompes à chaleur.

Anne-Céline Guyon et Jacques Rousseau soulignent que le gaz naturel est une énergie particulièrement polluante, dès son extraction (le plus souvent par fracturation hydraulique) et aussi durant son transport, qui génère d’importantes fuites.

Faire payer les citoyen·nes pour l’expansion de l’industrie fossile

La hausse des tarifs d’Hydro-Québec et les importantes compensations pour Énergir sont aussi décriées. La mesure est jugée « inéquitable » et « régressive » par l’Union des consommateurs, qui souligne qu’elle « pénalisera à coup sûr les ménages les moins nantis ».

Les groupes écologistes déplorent aussi que l’argent de la société d’État et des citoyen·nes nuise à la transition énergétique en contribuant à la croissance d’une entreprise d’hydrocarbures. « On finance le développement des infrastructures d’Énergir. Et une fois que ces infrastructures-là vont être en place, on peut imaginer que ça sera utilisé pendant plusieurs années, au-delà de 2050 », avance Jacques Rousseau.

Pour Anne-Céline Guyon, il est « absurde » de faire en sorte « que cette industrie-là va pouvoir continuer à se développer, alors qu’on sait qu’elle doit fermer. C’est une industrie du passé. »

Énergir vise effectivement l’expansion de son réseau dans la province, comme on peut le constater en consultant le Registre des lobbyistes.

« Tout ça ouvre aussi la porte à un principe extrêmement dangereux, qui serait de faire payer le poids de la transition énergétique à l’ensemble des Québécois·es », ajoute Anne-Céline Guyon. « Il va falloir que ce soit l’industrie elle-même qui paye le prix des mauvais choix qu’elle a faits dans les dernières années en continuant à vouloir s’étendre, alors qu’elle savait très bien qu’il n’y avait pas d’avenir. »

« À moment donné, il y a une limite à cette logique de vouloir toujours privatiser les bénéfices et mutualiser les risques. »

Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat chez Nature Québec

Un projet qui a l’appui du gouvernement

La Régie de l’énergie doit encore se prononcer sur l’alliance entre Hydro-Québec et Énergir, en tenant compte notamment de l’impact sur les client·es.

Toutefois, le gouvernement Legault a déjà adopté un décret, à l’été 2021, pour imposer à la Régie de tenir compte de certains points de vue favorables au projet. Le décret insiste notamment sur la « complémentarité » de l’électricité et le gaz et sur la nécessité d’un « partage des coûts » entre les deux distributeurs d’énergie.

Le gouvernement dit miser sur le modèle de la biénergie pour réduire les coûts, arguant que l’électrification complète des bâtiments serait plus chère.

Un tel argument ne convainc pas Jacques Rousseau, du RVHQ : « Entendons-nous, ce qui coûte de plus en plus cher, ce sont les changements climatiques! »

« Chaque fois qu’on repousse les solutions à plus tard, on s’enfonce vers des changements plus chaotiques », juge-t-il. « On pellette par avant, alors qu’on sait que les coûts de la crise augmentent chaque année, avec les catastrophes environnementales qui se multiplient. »

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