La situation financière insoutenable des doctorant·es au Québec

LETTRE D’OPINION | Si le doctorat est un stress en soi, le statut des doctorant.es rend son quotidien d’autant plus stressant. Comment peut-on accepter que le diplôme le plus prestigieux qu’une université puisse décerner protège aussi peu l’étudiant.e qui y prétend?

Je suis candidat au doctorat en sciences de l’environnement et j’entame ma quatrième année de thèse. Pour résumer ce que représente le doctorat dans une vie, je vais citer ma directrice : « Une thèse sera l’accomplissement le plus exigeant d’une vie mais qui, fort heureusement, n’arrive qu’une seule fois. Seules les personnes passées par là savent à quel point c’est difficile ». Il ne faut ni tempérer ce propos, ni penser qu’il s’agit là d’une volonté des docteurs de se glorifier. Le doctorat est réellement un passage difficile, stressant et douloureux. J’ai moi-même l’impression de courir un marathon… Depuis quatre ans. La plus grande difficulté du doctorat est que dans les derniers mois, l’enjeu n’est même plus de performer, mais de franchir la ligne.  

Ces derniers mois sont certainement les plus exigeants. La perspective de finir est aussi effrayante que celle de ne jamais y arriver. Pour beaucoup, une pression s’ajoute à cela : celle de pouvoir se nourrir et se loger. Si le doctorat est un stress en soi, le statut des doctorant.es rend son quotidien d’autant plus stressant. Comment peut-on accepter que le diplôme le plus prestigieux qu’une université puisse décerner protège aussi peu l’étudiant.e qui y prétend? La dotation moyenne pour un doctorat est de 20 000$ par année. C’est le montant avec lequel devrait vivre un.e adulte, déjà titulaire d’au moins deux diplômes, quand une lettre d’opinion parue dans le Journal de Montréal en date du 7 octobre dernier soulignait qu’il fallait 28 000 $ par an pour qu’une personne seule vive dignement. 

Le problème est que cette bourse est loin d’être universelle. D’abord, la plupart des financements publics de la recherche ne proposent que des financements de trois ans quand la majorité des doctorant.es déposeront leur thèse au bout de quatre ans. Ceci met la pression sur les directions et sur les étudiant.es pour finir « dans les temps », mais ces délais sont en décalage avec la durée d’un projet de recherche, souvent plus long. Mais pire encore, certain.es professeur.es ne sont pas en mesure d’assurer un financement au-delà de quelques années… voir un financement tout court. Cela veut dire que certain.es étudiant.es travaillent et produisent des données dans un laboratoire, pour un.e professeur.e, bénévolement. Les étudiant.es prêt.es à faire un doctorat le font par passion et non pour l’argent, mais ces situations ne sont pas moins révoltantes. 

Pour pallier cela, certaines universités vont proposer aux étudiant.es de compléter leurs revenus avec des charges de cours, au détriment de leur temps de recherche qui lui reste bénévole. L’UQAM par exemple a mis en place une (maigre) bourse de soutien universel au doctorat de 13 000$. Les laboratoires proposent à leurs étudiant.es de candidater à des concours, sans aucune garantie d’obtention, avec des exigences qui parfois dépassent le cadre académique et basés sur la méritocratie. Comble de l’absurdité, les doctorant.es par leur statut étudiant doivent payer des droits de scolarité et donc reverser leurs bourses, donc le plus souvent de l’argent public, aux universités. Cela se termine malheureusement par des dépressions ou des burn-out, une grande détresse mentale et l’abandon de leur projet. 

Cette situation n’est plus soutenable. On comptait plus de 8000 doctorant.es au Canada en 2018 et le Québec a le plus haut taux de docteur.es par 100 000 habitants au Canada. Ces chiffres peuvent paraître modestes et pour cause, parmi les pays de l’OCDE, le Canada fait pâle figure avec ses 88 docteur.es par 100 000 habitants face aux 215 en Suisse. La santé financière des étudiant.es au doctorat en comparaison avec la difficulté que représente l’obtention de ce diplôme n’aide certainement pas.  

La précarité des doctorant.es ne doit plus être normalisée. Elle doit être prise au sérieux et leur statut réformé. Une bourse universelle doit être mise en place pour l’ensemble des étudiant.es au doctorat, sans autres conditions d’obtention qu’une inscription au doctorat, sans condition de délai pour déposer leur thèse, et indexée sur le coût de la vie. Le statut des doctorant.es doit être révisé en étudiant-salarié afin de bénéficier des mêmes protections qu’un salarié, d’être protégé par les normes du travail et de pouvoir être soutenus par des syndicats. Alors qu’on parle d’augmentation du coût de la vie et d’inflation, il est plus qu’urgent de soutenir ces personnes qui sacrifient plusieurs années de leur vie pour la recherche scientifique, et qui sont trop souvent oubliées.  

Antonin Prijac est candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAM.

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