Le mois dernier, Pacifique Niyokwizera, un jeune noir de dix-huit ans a été la cible d’une arrestation injustifiée.
On souligne à grands traits que le traitement des Noirs aux mains des forces policières américaines est totalement différent de celui qui prévaut au Québec. Que nous apprennent les nombreuses recherches américaines? Que la police s’en prend injustement aux Noirs américains. Ces derniers sont plus susceptibles d’être arrêtés, fouillés et interrogés que leurs compatriotes blancs.
Toutefois, la vidéo diffusée de l’arrestation de deux jeunes Noirs nous force à réfléchir et à nous demander si le Québec est vraiment si différent des États-Unis. Lorsque des Noirs sont la cible d’une telle violence, on est en devoir de se demander quelle emprise ont les préjugés raciaux, ici au Québec. Plus d’un an après la mort en direct de George Floyd comment peut-on être encore témoin silencieux de tels dérapages?
Dans ce contexte, les commentaires de la représentante de la Fraternité des policiers de Québec, Martine Fortier, qui demande de « faire preuve de réserve » sont des plus troublants. Comme si le « contexte » justifiait la brutalité des policiers captés « live. »
Que penser de son commentaire soulignant qu’un policier autochtone faisait partie de l’équipe qui a procédé à l’arrestation. Comme si l’un justifiait l’autre! Ce commentaire est des plus préoccupants quant à la compréhension des dynamiques raciales et l’appréhension des systèmes. Soulignons que, lors du meurtre de George Flyod, un des policiers impliqués était un policier d’origine asiatique.
Soyons clair : la présence d’un policier racisé ou autochtone ne peut à elle seule changer la culture organisationnelle et les dynamiques raciales existantes au sein des organisations. Il est totalement irréaliste de croire et d’imposer à ces personnes de changer la culture des forces de l’ordre alors que les systèmes eux-mêmes ont une piètre feuille de route à cet égard.
De surcroît, en se prononçant de la sorte, Madame Fortier ne tient pas compte de deux éléments : l’esprit de corps et les effets du racisme systémique au sein des institutions.
L’esprit de corps, soit la solidarité entre policiers, est essentiel afin de mener certaines interventions aux risques élevés. Or, cet esprit a un côté obscur : il conduit les policiers à défendre les actions de leurs collègues, à n’importe quel prix. Preuve en est cette déclaration étonnante de la porte-parole.
Contrairement au SPVM, le SPVQ n’a pas reconnu la présence d’un racisme systémique au sein de l’institution. Le fait pour le SPVQ d’ignorer la présence de ce racisme ne veut pas dire qu’il en soit exempt.
Si on se réfère à la définition du racisme systémique donnée en juin dernier par la Haute commissaire des droits de l’homme, il est virtuellement impossible de prétendre que les forces policières ne sont pas au centre d’un système complexe qui produit diverses formes de discrimination et que ces forces sont exemptes de stéréotypes et préjugés.
À la suite de l’intervention policière, Pacifique Niyokwizera a été laissé sans manteau, sans carte d’identité et sans téléphone dans une rue loin du lieu d’arrestation. Cela n’est pas sans rappeler la tactique utilisée par d’autres forces policières dans le cadre d’arrestations d’autochtones, nommée « starlight tours ».
En effet, au début des années 2000, trois autochtones ont été trouvés morts à l’extérieur de la ville de Saskatoon. Les policiers les avaient arrêtés sous prétexte qu’ils avaient troublé la paix publique ou encore sans motif. Alors que la température était sous le point de congélation, les policiers ont reconduit les autochtones à l’extérieur de la ville et les y ont abandonnés.
Le rapport du Commissaire Viens a également reconnu que des dizaines de femmes autochtones ont été victimes de ces « tournées à la lumière des étoiles » aussi appelées cure géographique aux mains des policiers de Val d’Or.
Dans ces circonstances, comment le SPVQ peut-il mener l’enquête sur cette arrestation musclée qui implique ses propres membres? Que fait-on de l’esprit de corps, de potentiels conflits d’intérêts, du conflit de loyauté entre policiers? Cette enquête a peu de chance de succès, car elle contrevient aux principes de l’indépendance, de l’impartialité, de l’intégrité et de la transparence qu’on est en droit d’attendre de toute enquête sérieuse. Une enquête qui ne rencontre pas ces principes aura un effet délétère sur la confiance du public envers les policiers, confiance qui risque d’être gravement compromise
Seule une enquête indépendante permettrait de remettre en question l’usage excessif de la force par les policiers. On ne peut se permettre d’oublier ni l’histoire, ni les enseignements de l’enquête dans le dossier de Freddy Villanueva notamment en ce qui a trait à la gestion des témoignages des policiers et à la contamination de la preuve.
Dans une société démocratique, les minorités racisées ont elles aussi des droits constitutionnels, les enquêteurs chargés de l’enquête devraient saisir non seulement le contexte social des policiers, mais aussi des personnes racisées. C’est une condition essentielle au contrôle efficace des actions policières.