Pris dans les rets d’un empire américain de moins en moins démocratique, le Canada fait face à un véritable test de caractère en termes de politique étrangère.
Chaque fois que j’aborde un texte ou un essai qui dissèque les relations internationales canadiennes, je me fais un devoir de me rappeler que j’en fus encore assez récemment un acteur, ne serait-ce que dans un 4e rôle de soutien, celui de militaire. J’ai participé à l’occupation d’un pays, l’Afghanistan, que l’empire américain et ses vassaux occidentaux auront finalement abandonné lâchement après avoir mené là-bas une guerre qu’ils ne voulaient pas gagner. Car la victoire totale contre les Talibans, la souveraineté politique et la reconstruction du pays n’étaient même pas une condition de « réussite », m’avait dit un jour un officier canadien autrefois affecté à l’état-major de la force canadienne en Afghanistan. L’objectif réel était, selon lui, de contenir Al-Qaïda, le monstre de Frankenstein résultant des expériences des savants fous de l’administration Carter puis Reagan.
Plus les années passent, plus mon ressentiment envers ce pays qui aura aussi trahi ses soldats en leur vendant une épopée de libération mensongère grandit, comme s’il ne l’était pas déjà assez même à ce moment où, doigts croisés et nez pincé, j’ai prêté serment à une Majesté dont, en tant que descendant de Canadiens-Français et d’Irlandais, je ne reconnaissais aucune légitimité, un peu à l’image de ces Ghurkas qui joignent les rangs de l’armée britannique.
C’est donc avec un grand intérêt que j’ai lu le plus récent ouvrage du politologue Jocelyn Coulon, Le Canada à la recherche d’une identité internationale paru aux Presses de l’Université de Montréal en septembre dernier et dont je recommande vivement la lecture. Coulon rappelle une vérité qui dérange : le Canada n’est pas souverain en termes de politique étrangère, il est vassalisé aux États-Unis, quelles que soient leurs décisions et leurs actions. Le refus d’aller en Irak en 2003? Il fut troqué pour le redéploiement de l’armée canadienne à Kandahar, au prix de la vie de milliers de militaires canadiens aujourd’hui morts, blessés, sans-abri, possédés par des démons difficiles à exorciser et j’en passe. Le chercheur dénonce l’éloignement du Canada de sa tradition de fidélité à l’esprit onusien et aux missions de maintien de la paix.
C’est là que mon analyse diverge de la sienne : maintien de la paix ou non, le Canada demeure une puissance impérialiste dont les ambitions internationales se sont décomplexées au cours de la décennie du régime Harper.
Un impérialisme « soft »
Une semaine à peine après les élections au Nicaragua, le Canada joignait son suzerain et annonçait une troisième vague de sanctions contre le petit pays d’Amérique centrale afin de punir le peuple qui a osé reporter au pouvoir le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega.
« Les nouvelles mesures du Canada s’ajoutent aux sanctions canadiennes déjà imposées aux responsables nicaraguayens. Le Canada se réjouit des mesures décisives prises par ses partenaires internationaux, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, et continuera de travailler avec eux pour obtenir du soutien et exercer des pressions sur le régime afin qu’il rétablisse la démocratie et respecte les droits de la personne », peut-on lire dans le communiqué de presse, idéalement sans rire.
En d’autres mots, l’empire viole de nouveau le principe de souveraineté des États qu’il invoque lui-même sans cesse lorsque vient le temps de dénoncer de supposées ingérences dans son propre système politique.
Même chose au Venezuela via le Groupe de Lima ou encore dans la Perle haïtienne où, en tant que membre du Core Group, le Canada participe à pirater la démocratie populaire en soutenant la présidence de voyous comme Michel Martelly et Jovenel Moïse. Comme le rappelle Yves Engler dans le magazine Canadian Dimension en octobre dernier, le Core Group « a lourdement façonné les affaires politiques haïtiennes depuis que des troupes françaises, américaines et canadiennes ont assisté au renversement du gouvernement démocratiquement élu en 2004 et installé une force d’occupation onusienne ».
Sage rappel : Le rôle de Denis Coderre dans le coup d’État de 2004, lui qui à l’époque était homme de main du Premier ministre Paul Martin comme président du Conseil Privé, ce qui ne l’a jamais empêché de faire de la petite politique sur le dos de la communauté haïtienne de Montréal, surtout sa petite-bourgeoisie.
Au Venezuela, le Canada reconnaît Juan Guaido – une imposture! – en tant que véritable président-en-exil alors qu’il ne bénéficie d’aucun soutien populaire. Un sondage mené par la firme vénézuélienne Meganalisis mené en mars 2020 rapportait que Guaido était soutenu par 3% de la population, dans un pays où près du quart des citoyen.nes ne savent même pas qui gouverne le pays! D’ailleurs, cette opposition contrôlée depuis Washington et Ottawa a su profiter de cet analphabétisme politique pour orchestrer ses gigantesques opérations de propagande pour rendre le gouvernement Maduro responsable des tares qui plombent un pays pourtant réellement gangréné par une économie militarisée par les grandes puissances financières.
Les sanctions tuent – je l’écrirai probablement dans chaque chronique que je publierai ici!
Le cas de l’Iran est aussi éloquent. Malgré une promesse de rétablir les relations diplomatiques, les quelques 171 000 ressortissant.e.s iranien.ne.s au Canada n’ont toujours pas accès à des services consulaires dignes de ce nom. Depuis la décision du régime Harper de couper les ponts en 2012, on a évoqué de nombreuses raisons pour maintenir l’Iran sur la liste des pays ennemis – programme nucléaire, soutien à Bachar al-Assad, etc.
Sortons donc l’éléphant de la pièce – c’est l’obligation d’un soutien indéfectible à Israël qui justifie majoritairement la rupture diplomatique.
J’entends déjà les politologues me rappeler la marotte néo-réaliste selon laquelle les pays n’ont pas d’amis, seulement des intérêts.
La semaine dernière, l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance plaçait le suzerain impérial américain sur sa liste de pays où la démocratie « est en recul », citant évidemment le régime Trump comme responsable.
Mais cessons donc de nous mentir – ni les USA ni le Canada ne sont de réelles démocraties, au mieux des « oligarchies démocratiques » où, comme le disait l’économiste Filip Palda dans l’excellent documentaire de Richard Brouillette L’Encerclement : la démocratie dans les rets du néolibéralisme (Les Films du Passeur, 2008), la véritable liberté consiste à choisir ses maîtres.