Ce que je tiens à vous dire aujourd’hui n’est rien de nouveau, ou de révolutionnaire. Beaucoup en ont abondamment parlé, avec une grande expertise. Malheureusement, bien peu d’hommes ou de femmes politiques choisissent d’aborder le sujet. Je ne dis même pas d’en faire leur cheval de bataille, mais juste de l’aborder.
Ce sujet si délicat est simple, mais immense : la croissance économique.
Produire davantage afin de répondre aux besoins humains essentiels a été depuis toujours un puissant moteur de progrès humain. Quand les gens ont faim, ont froid, ou n’ont pas de toit, il faut bien sûr pallier à ces lacunes fondamentales. C’est une question de survie, mais aussi de dignité.
Cela fonctionnait très bien comme logique lorsqu’il y avait 500 millions ou un milliard d’êtres humains. À plus de huit milliards de personnes, et avec un impact environnemental considérable vu le niveau de consommation occidental, la simple réalité appelle à une révision de notre façon de voir et d’évaluer le progrès et le développement.
Notre mesure de progrès économique repose sur la croissance, principalement la croissance de notre PIB. Il est considéré comme une bonne chose d’extraire plus, de transformer plus, de produire plus, d’échanger plus et de consommer plus. Cela serait parfaitement viable dans un monde dont les ressources sont également en expansion. Ce qui n’est évidemment pas notre cas.
La planète est finie. Pas dans le sens qu’elle est foutue, mais qu’elle est limitée. Les ressources ne sont infinies. Albert Jacquart, entre autres, avait écrit brillamment sur le sujet il y a plusieurs années. L’idéologie de la croissance à tout prix devient un dogme, et dans notre contexte global, une idée irrationnelle.
Bien sûr, on peut augmenter la productivité, le rendement, ou l’efficacité de certaines productions, mais cela aussi a ses propres limites et ressemble surtout en une fuite en avant pour remettre les changements nécessaires à plus tard. Si on ajoute toujours plus d’eau dans une baignoire, elle finira, inexorablement, par déborder.
La planète ne peut supporter une croissance infinie de notre PIB. C’est mathématique et factuel. Nous sommes face à une contradiction intrinsèque de notre manière collective de vivre. Il y a là une « instabilité » du système comme le disent les scientifiques. Il y a des limites réelles que nous devons prendre en considération de manière urgente. On ne peut couvrir la terre de banlieues, de terrains de stationnement et de dépotoirs. Le danger, à terme, est un effondrement du système si nous nous entêtons à miser sur toujours davantage de production et de consommation.
Les conséquences catastrophiques du réchauffement, et donc du dérèglement climatique sont déjà bien visibles, mais n’oublions pas que nous assistons également à la 6e grande vague d’extinction des espèces. Et pour les espèces non menacées, leur population naturelle, donc non domestiquée, est généralement en baisse. Une étude de la WWF indique que 50% de la population des espèces sauvages a disparu dans les 40 dernières années. Le poids de la biomasse animale en liberté dans le monde est en chute libre. Les êtres humains et notre bétail représentent 96% de la masse globale de tous les mammifères. Reste un maigre 4% pour tous les mammifères en liberté. Avec l’étalement urbain et l’exploitation massive des ressources naturelles, les animaux ont de moins en moins d’espace pour vivre. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous.
Comme le dit l’astrophysicien Aurélien Barreau « le sérieux doit changer de camp ». Les gens sérieux et responsables ne peuvent plus être ceux qui nous disent de continuer comme on a toujours fait. Les obsédés du profit et de l’accumulation de capital sont les irresponsables. Les gens sérieux comprennent que nous devons revoir notre approche et notre vision.
Face à ce constat pas très réjouissant, mais à mon sens lucide, que faire?
Au moins deux choses.
Revoir le concept de croissance
La croissance ne peut plus être une conception purement économiste ou productiviste. Désormais, nous devons aborder cette notion via l’idée d’un développement social et humain. Non plus comme une colonne de chiffres ou un rendement financier. Les critères d’un développement sain et durable doivent inclure la pérennité de nos ressources et de notre environnement. La qualité de vie des gens, l’accès à des services publics de qualité, le respect des peuples autochtones, de meilleures possibilités d’épanouissement personnel, une réduction des inégalités, un meilleur accès à l’éducation et à la santé, des collectivités équitables où chacun a les mêmes chances de s’exprimer, se réaliser et d’être entendu, tous ces facteurs devraient être considérés dans notre conception du progrès.
Nous devons aussi imaginer une croissance « dématérialisée », parce que dans ce cas, elle peut réellement être infinie et durable dans le temps. On peut avoir une croissance dans les services de santé, dans la recherche scientifique, dans les activités sportives et artistiques, et que tout cela ait peu d’impact sur l’environnement ou le climat. Davantage de concerts de musique ou de pièces de théâtre fait plus de sens, globalement et à terme, que plus de voitures et de jouets en plastique.
Favoriser un mode de vie plus frugal
Soyons tout à fait clairs, les deux milliards d’êtres humains qui vivent avec moins de deux dollars par jour ne sont pas concernés par mon message… Les gens qui souffrent de sous-nutrition ou de malnutrition ne sont pas interpellés ici. Il reste énormément de travail à faire pour sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté en leur donnant les conditions minimales de la décence et de la dignité.
Je ne parle pas bien sûr de ceux qui, près de nous, doivent vivre à cinq dans un 3 1/2 ou qui ont recours aux banques alimentaires parce que l’aide sociale est invivable, que les médicaments sont trop chers, ou que le salaire minimum garde les travailleurs.euses en situation de pauvreté.
Ce dont je parle est d’un autre registre. Le cas type est le Vendredi Fou ou le Cyber lundi. Cette frénésie de consommation où les gens se bousculent, et parfois se battent, pour obtenir à rabais un nouveau téléviseur, de nouveaux écouteurs ou d’autres produits issus d’une obsolescence programmée, qui n’est rien de moins qu’un crime en planifiant une surconsommation mortifère. Nous avons atteint un niveau d’irrationalité dangereux.
Cette nouvelle simplicité volontaire, dictée par notre impact global, ne doit pas être une restriction, mais une nouvelle façon de vivre. Plus de temps pour la famille et les amis. Pour bouger et jouer. Des tâches et des outils partagés. Poursuivre la hausse de la demande de produits, souvent polluants, provenant de l’autre bout du monde ne fait plus de sens. Notre empreinte carbone et le poids total de nos activités sur les écosystèmes sont simplement devenus trop lourds.
Donc, achetez local, des produits d’ici, réutilisables si possible.
Mais surtout, si vous en avez les moyens, n’achetez pas.
Alexandre Boulerice est député Rosemont-La Petite-Patrie et chef adjoint du Nouveau Parti Démocratique (NPD)