Bon, le diable est aux vaches. C’est la débandade. Rien ne va plus. Imaginez : le Petit Robert a inclus le pronom iel dans sa nomenclature! Entre ça et la demande de réforme de l’accord du participe passé, certaines personnes ne savent plus où donner de la tête!
Cette situation est très intéressante sur le plan sociolinguistique. En effet, le diagramme de Venn qui représente les gens qui utilisent l’anglicisme woke (et ses dérivés), ceux qui réclament le droit d’utiliser à qui mieux mieux les mots chargés (comme le mot en n) et ceux qui déchirent leur chemise à cause du pronom iel est, en fait, un cercle. Tout cela, en bout de ligne, démontre non seulement à quel point la langue est un produit social, mais surtout à quel point plusieurs se servent d’arguments linguistiques pour camoufler leur attitude réactionnaire.
Car ce n’est pas tant le pronom iel lui-même qui leur pose un problème. C’est plutôt la réalité à laquelle il fait référence. Bien installés confortablement dans leurs certitudes qu’il n’y a que deux genres, ces gens travaillent très fort pour prétendre que les personnes intersexes et les personnes non binaires n’existent tout simplement pas. Ce qu’ils disent, c’est « voici comment je pense que la société est, donc, manifestement, voici comment elle doit être, et je refuse de reconnaître l’existence de quoi que ce soit qui puisse remettre ma vision en question ». C’est d’une prétention.
Du même souffle, ces gens se plaignent sur toutes les tribunes de « ne plus pouvoir rien dire » et vont même jusqu’à **gasp** créer de nouveaux mots à partir d’un anglicisme! Woke, wokisation, wokisme, etc. Ces mots ne sont pas dans le Petit Robert. C’est donc dire que ces gens se contrefoutent du contenu du dictionnaire, et ne lui accordent de l’importance que lorsque cela leur convient. Comprendre : lorsque le dictionnaire confirme leur vision (c’est alors un bon dictionnaire), ou lorsqu’il l’infirme (c’en est alors un mauvais). Car si ces gens acceptent d’utiliser woke et ses dérivés malgré leur absence du Dictionnaires, c’est que l’importance à l’inclusion d’un mot est très relative.
Le mot woke fait partie de l’usage depuis un bout de temps. Le pronom iel fait partie de l’usage depuis un bout de temps. Woke est utilisé pour décrire négativement toutes les questions d’inclusion, de reconnaissance et d’évolution de la société. Iel est utilisé pour faire référence à cette inclusion et cette évolution. Pour les gens qui critiquent, ce sont les wokes qui utilisent iel. En bref : woke, oui; iel, non. La langue peut changer, on peut y inclure de nouveaux mots, mais seulement lorsque ces mots décrivent une certaine société. Les anglicismes mettent le français en danger, mais seulement lorsque ces anglicismes sont utilisés par des personnes « militantes et relativistes ». Si les anglicismes peuvent servir à critiquer les changements au statu quo, ils sont acceptables.
J’ai quelques nouvelles pour les réactionnaires statu-quoïstes (moi aussi, je suis capable, non mais). Les personnes intersexes existent (1,7% de la population l’est). Les personnes non binaires existent. La société change. Tout le monde voit votre vrai visage à travers vos sparages. Vous prétendez vous préoccuper de la langue française, mais en fait, ce que vos actions démontrent, c’est à quel point vous avez peur.
Peur de perdre le contrôle. Peur de perdre le pouvoir. Peur que les gens sur qui vous crachez depuis toujours aient finalement un minimum de reconnaissance. Peur que, de plus en plus, les personnes comme vous basculent du mauvais côté de l’histoire. Car on pourrait prendre les anciennes pub qui dénigraient jadis les suffragettes et annonçaient un grave déclin si les femmes pouvaient voter, et, en changeant uniquement le thème, illustrer parfaitement vos élucubrations.
Un conseil : préparez-vous à élucubrer de plus en plus fort, car la Génération Z arrive. Cette génération qui non seulement refuse les petites cases qui vous sécurisent tant, mais qui les fait éclater. Cette génération qui reprend les adultes qui mégenrent leurs camarades trans et non binaires. Cette génération qui s’affirme, bouscule et parle. Vous croyez que quand on a « sorti le petit Jésus des écoles », ça a été un point tournant de la société? Just watch them.