Les fautes et le clavier QWERTY

Le clavier majoritairement utilisé au Québec s’appelle le clavier QWERTY. Il tire son nom des premières lettres qu’on trouve à gauche, sur la rangée du haut. En France, beaucoup utilisent un autre clavier : l’AZERTY. Les lettres ne sont pas placées au même endroit (la lettre A est à la place de notre lettre Q, etc.). Aucun des claviers n’est supérieur à l’autre. Mais si une personne qui est habituée à travailler avec le QWERTY se trouve devant un AZERTY, elle peut trouver la situation troublante. C’est une question de conditionnement. Quand on a appris à taper sur le QWERTY, les doigts connaissent l’emplacement des lettres sans qu’on ait besoin de réfléchir. Taper avec le clavier AZERTY exige donc un effort.

C’est la même chose avec les règles de l’écrit. On a été conditionné à s’attendre à ce que le mot que s’écrive ainsi, et non ke, par exemple. Dans l’absolu, écrire que « q-u-e » ne donne rien de plus au mot que s’il était écrit « k-e » (j’entends d’ici des gens qui essaient de justifier l’orthographe du mot par des considérations étymologiques; je leur répondrai que si on a reculé nos montres d’une heure récemment, on serait très en mesure de décider que le mot que s’écrive ke).

Comme pour le clavier d’ordinateur, si on est devant un texte écrit d’une manière qui ne correspond pas à notre conditionnement, on sera troublé.

Si une personne déménage dans un endroit où c’est le clavier AZERTY qui est utilisé, elle acceptera probablement la situation, quitte à changer ses habitudes et, donc, son conditionnement. Encore une fois, on peut faire un parallèle avec l’orthographe. Quand on doit lire quelque chose qui a été écrit par une personne qui ne maîtrise pas les règles (qui écrit au son, disons), on est troublé, on se rebiffe, il y en a même qui iront jusqu’à juger la personne qui a écrit. Mais si le texte qu’on doit lire est la recette de tarte au sucre écrite par une vieille dame dans les années 1920, les « fautes » qu’on trouve seront des objets d’attendrissement. On analysera cette façon d’écrire avec un œil conciliant, en pensant à cette dame qui écrivait ses recettes. Même chose si le texte est écrit par un enfant qui commence à peine à lire et à écrire, et qui se fie aux sons. On gardera ce petit texte dans nos archives : il sera un souvenir agréable, envisagé avec tendresse.

Mais si le texte est écrit par une personne adulte, qui est « supposée » maîtriser le code écrit, parce que vous voyez, tout le monde a maintenant bénéficié de l’école et de l’apprentissage, c’est de la paresse intellectuelle que d’écrire au son, voyons donc, nivellement par le bas et tout le tralala. Comme si tout le monde se souvenait des choses apprises à l’école. Récemment, j’ai dû demander à mon conjoint d’aider notre ado de secondaire trois en math à ma place, parce que je ne me souvenais absolument plus comment résoudre des équations à deux inconnues. Parce que mon cerveau est passé à autre chose, et que ma mémoire n’a pas jugé bon de retenir cette matière.

Si on accepte de lire les textes de la vieille dame des années 1920 et celui de l’enfant de 6 ans, pourquoi n’accepterions-nous pas celui de la personne adulte de 2021? Il y a une foule de raisons qui peuvent expliquer pourquoi une personne ne maîtrise pas les règles de l’écrit : une enfance difficile, un trouble d’apprentissage non diagnostiqué, des problèmes affectifs, et j’en passe. 

C’est qu’étant donné que lire un texte écrit d’une manière qui heurte notre conditionnement demande un certain effort, on accepte de fournir cet effort pour l’enfant et la vieille dame. Pourquoi en ferait-on un pour une personne inconnue sur les réseaux sociaux? C’est à la personne qui écrit de fournir des efforts!

Tout cela pour dire que l’attitude qu’on a devant des textes qui contiennent des « fautes » ou qui sont écrits au son dépend de la manière dont on perçoit la personne qui a écrit, et de l’effort qu’on accepte de fournir pour lire le texte de cette personne. Ça n’a rien à voir avec la langue ou les règles. C’est, encore une fois, une question sociale, une question qu’on enveloppe de bien-pensance, pour se faire croire que ce qu’on fait n’est pas un jugement de valeur. Alors que ça l’est. Complètement.