Protéger ou exploiter? Le dilemme des élus municipaux d’Abitibi

En Abitibi-Temiscamingue comme ailleurs au Québec, l’urgence climatique s’est taillé une place dans les élections municipales. S’il y a consensus sur les pistes cyclables ou le verdissement des espaces publics, les candidat.es marchent sur des œufs lorsqu’on aborde les minières et les forestières.

Comme ailleurs au Québec, l’Abitibi-Témiscamingue se préoccupe de plus en plus de la crise climatique. En ces élections municipales, l’électorat exige que les futur.es élu.es prennent des engagements à ce titre. Mais comment faire quand l’économie et l’identité de sa ville dépendent de l’exploitation minière et forestière?

À Rouyn-Noranda et Val-d’Or, chaque élection municipale, provinciale ou fédérale amène l’organisation d’un débat des candidat.es. Traditionnellement, l’événement principal est organisé par la Chambre de commerce de ces « métropoles » abitibiennes. Mais cette année, les futur.es élu.es n’ont pas pu éviter un nouvel exercice : celui de débattre seulement sur des questions environnementales lors d’un débat Vire au vert.  

« C’est la crise environnementale qui me motive le plus. Il faut avoir le courage d’agir », a évoqué Philippe Marquis, l’un des quatre candidats à la mairie de Rouyn-Noranda, lors de cet événement. Celui qui semble rallier derrière lui les plus écolos de la ville est par contre conscient qu’une pente abrupte doit être montée. « Ici, à Rouyn-Noranda, le seul fait d’avoir mis des lignes blanches pour permettre aux cyclistes de circuler, ç’a provoqué un tollé chez certaines personnes. On est dans des villes de chars », illustre-t-il. 

Philippe Marquis et Jean-Marc Belzile, candidats à la mairie de Rouyn-Noranda, lors d’un débat Vire au Vert | Émélie Rivard-Boudreau

À une centaine de kilomètres plus au sud de la route 117, à Val-d’Or, un conseiller nouvellement élu sans opposition affirme aussi avoir plongé en politique pour des raisons environnementales. Benjamin Turcotte a ni plus ni moins transformé son écoanxiété en moteur d’engagement. « Mon souhait, c’est que Val-d’Or prenne conscience du mur qui s’en vient. Dans un contexte d’économie florissante, où on manque de main-d’œuvre, je pense qu’on peut [d’autant plus] se permettre de faire de meilleurs choix dans les projets économiques et mettre des freins ou des conditions pour préserver des milieux sensibles », avance-t-il. 

Quel pouvoir?

Si la motivation est au rendez-vous, qu’en est-il du réel pouvoir? Un autre candidat à la mairie de Rouyn-Noranda, l’ancien journaliste Jean-Marc Belzile, croit lui aussi que l’Abitibi-Témiscamingue doit miser sur sa prospérité économique au profit de la lutte au changement climatique. « On a des entreprises qui sont prêtes à collaborer à ces efforts-là. Ils y voient, eux aussi, une opportunité. On a l’argent ici! Ce n’est pas le problème! Il faut juste avoir la volonté politique », affirme-t-il 

Dans les débats, le consensus règne sur le remplacement de flotte municipale par des véhicules électriques, l’amélioration du réseau cyclable, le verdissement des espaces publics ou le changement des réglementations pour l’agriculture urbaine. Les positions se corsent lorsqu’on demande de quantifier en dollars les montants consacrés à la lutte aux changements climatiques. Mais là où tous marchent sur des œufs, c’est lorsqu’on aborde le pouvoir des élu.es municipaux à limiter des minières ou forestières.  

« Je ne peux pas empêcher une mine de se creuser en Abitibi-Témiscamingue. C’est de juridiction provinciale », se désole Philippe Marquis. Martin Ferron entame son troisième mandat à la mairie de Malartic, là où se trouve la plus grosse mine d’or à ciel ouvert du pays. Il abonde dans le même sens. Selon lui, le pouvoir de négociation et de revendication devant un projet minier d’envergure est à géométrie variable. Il le constate dans l’histoire de sa petite ville de 3500 habitants. « Quand tu es une ville dévitalisée et qu’arrive un projet comme ça, tu ne peux pas dire «non, je n’en veux pas». Tes arguments pour négocier sont quand même limités. Aujourd’hui, la situation est différente. Si une autre minière voulait s’installer à Malartic, on aurait plus la main sur le dessus du bâton pour négocier et non en dessous », compare-t-il.  

L’avocat spécialisé en environnement et militant Rodrigue Turgeon considère que les élu.es municipaux de l’Abitibi balaient trop souvent la responsabilité dans la cour du gouvernement provincial et contribuent à tolérer et encourager des activités qui empirent la crise climatique et l’extinction de la biodiversité. En organisant le débat Vire au Vert à Val-d’Or, il souhaite éduquer avec un ton constructif les deux candidats à la mairie. « La loi sur les mines, oui elle est de juridiction provinciale, mais il y a des dispositions qui font que les municipalités, les MRC, peuvent demander au gouvernement de soustraire certains territoires incompatibles avec les activités minières », donne-t-il en exemple. 

Quelles influences?

La pertinence de certains projets ou certaines exploitations suscite des débats, particulièrement dans un contexte d’urgence climatique. La pression sur les élu.es est donc forte. Ici, les municipalités sont dotées d’infrastructures dernier cri, mais elles portent le nom des entreprises minières prospères. Les proches des élu.es, ou les élu.es mêmes proviennent régulièrement d’une profession en lien avec l’extraction des ressources naturelles, souligne Rodrigue Turgeon.  

Quand on gravite toujours dans ces milieux et que tout le monde finit par se connaître et être familier, la pression est donc énorme. « Il y a peut-être une nécessité que ces élu.es-là remettent en question leur propre trajectoire de vie, leur carrière, leurs habitudes de vie, peut-être même certaines amitiés ou relations, avance Rodrigue Turgeon. Il faut avoir un œil critique sur d’où on vient pour se dire : est-ce que ça fait partie des choses qu’on doit changer? »

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