Colin Powell : Requiem pour un criminel de guerre
Lundi, le journaliste irakien Muntadhar al-Zaidi écrivait sur Twitter qu’il pleurait la mort de Colin Powell.
« Il n’aura jamais payé pour ses crimes », a-t-il finalement ajouté.
Pour la petite histoire, al-Zaidi est ce journaliste qui, en 2008, avait lancé ses souliers sur George W. Bush pendant une conférence de presse à Bagdad avant d’être plaqué au sol, arrêté, détenu, battu, jugé puis emprisonné neuf mois. Dans de nombreuses parties du monde, notamment dans la culture arabe, le lancer de la godasse reste, depuis des temps immémoriaux, un des gestes les plus insultants qu’on puisse poser.
Quelques minutes après l’incident, Bush avait répondu aux journalistes (qui se sont excusés, une sorte de #NotAllJournalists pré-Twitter) que le geste ne l’avait pas ébranlé et qu’il « ignorait » la cause pour laquelle al-Zaidi avait sacrifié ses babouches, même si ce dernier avait hurlé « Ceci est pour les veuves et les orphelins de ceux tués en Irak! »
Cette cause, c’est le massacre de millions de civils irakiens entre la Guerre du Golfe de 1991 et l’invasion et l’occupation de l’Irak de 2003 à aujourd’hui.
Et Colin Powell en fut directement complice.
Un faux dilemme cornélien
Certains et certaines se souviendront de la prestation de l’ancien secrétaire d’État durant la première moitié du régime Cheney Bush à l’ONU pour convaincre l’ONU de prendre la criminelle décision d’envahir l’Irak. C’était aussi sérieux qu’une pièce de Eugène Ionesco. Powell y avait même déployé des accessoires de scène! D’abord, de petites fioles remplies de poudre décrite comme de l’anthrax (passons, d’ailleurs, sur le fait d’agiter un récipient fragile rempli d’une bactérie mortelle en pleine séance du Conseil de Sécurité). Puis, des tableaux décrivant les « laboratoires mobiles de Saddam » qui permettraient de poursuivre le supposé développement du programme irakien d’armes chimiques et biologiques tout en fuyant les inspecteurs de l’ONU. Jusque-là, ces derniers n’avaient trouvé aucune preuve de la présence d’armes de destruction massive, qui constituait le principal casus belli du régime américain.
Pourtant, Powell a dévoilé en 2007 lors d’un colloque à Aspen au Colorado qu’il avait discuté pendant plus de deux heures avec Bush pour lui expliquer les conséquences potentiellement désastreuses d’une occupation d’un pays arabe par l’armée états-unienne, conséquences qu’on a ultimement vues se concrétiser, avec les résultats sanglants qu’on connaît aujourd’hui. En 2008, il expliquait à un groupe de reporters qui l’attendaient après une apparition à l’émission Meet the Press que malgré son soutien à Barack Obama pour l’élection présidentielle, il restait convaincu que l’invasion de l’Irak était la seule action légitime possible. Pourtant, même le Iraq Survey Group, une mission organisée par le Pentagone et la CIA pour trouver (désespérément) des armes de destruction massive avait dû gratter les fonds de tiroir de l’arsenal irakien pour finalement déclarer, dans son rapport final, n’avoir trouvé qu’une poignée d’armes chimiques qui ne posaient aucune menace militaire viable.
Assez mince pour justifier le meurtre de centaines de milliers de civils irakiens et le sacrifice inutile de près de 37 000 soldats américains. Soldats à la face de qui leur propre commandant en chef a menti pour les envoyer au casse-pipe afin, ultimement, de réduire l’Irak à la merci des grandes multinationales impériales et de livrer son peuple à la violence et au chaos.
C’est face à ce faux dilemme cornélien – appuyer la guerre et subir ce qu’il savait être le jugement de l’Histoire ou refuser de le faire et mettre fin à sa carrière politique – que Powell se rend coupable de complicité dans ce grand crime, ce vol de grand chemin de calibre planétaire, ces massacres de gens innocents pour la gloire et le bénéfice de Halliburton et Lockheed Martin et le sang versé de jeunes hommes et femmes américain.e.s, majoritairement issus des classes laborieuses et pauvres, violés dans leur patriotisme et manipulés au point de croire réellement à une guerre juste.
Le contraste idéal
De nature calme et posée, Powell jurait avec ses complices architectes de guerre Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz qui, eux, respiraient la mort et aspiraient la lumière autour d’eux comme des trous noirs de vilenie.
C’est justement ce qui en a fait le visage « respectable » de l’invasion de l’Irak. Un crime contre l’Humanité au sens moral du terme à défaut d’obtenir une condamnation juridique – après tout, ne dit-on pas que la première règle du droit international est qu’il n’y a justement pas de « droit international », une boutade, bien sûr, mais ô combien symbolique.
Mais dans les grands médias, on fera l’éloge d’un « grand homme », d’un « héros de guerre », d’un « diplomate accompli qui a su prendre des décisions difficiles ».
Dites ça aux veuves et aux orphelins pour qui Muntadhar al-Zaidi s’est retrouvé nu-pieds.