Parlons François…

Bon, on en est là: se fier aux définitions du Dictionnaire (oui, avec une majuscule) pour justifier son refus de reconnaître l’existence d’un concept. C’est en tout cas ce que François Legault a fait récemment avec la définition du mot systémique du Petit Robert

Pourtant, le Grand dictionnaire terminologique de l’OQLF a bel et bien une entrée pour racisme systémique : « Discrimination issue d’inégalités à fondement racial engendrée par les objectifs ou les pratiques des organisations, des institutions ou des États, ou encore par les rapports sociaux au sein de ceux-ci. » Il y a même une note explicative! « Le présent concept a été théorisé dans les années 1960, aux États-Unis. Le fonctionnement des institutions aurait pour effet de désavantager, d’exclure ou d’inférioriser certains groupes ethnoculturels et d’en favoriser d’autres, sans intention manifeste des acteurs au sein de ces institutions. ».

Ça aurait été beaucoup plus pertinent pour le premier ministre du Québec de se fier sur l’autorité langagière québécoise lorsqu’il veut décrire une réalité de la société québécoise. On l’aime bien, Le Petit Robert, mais il ne faut pas oublier que c’est un outil, et non un livre de loi (le GDT non plus, d’ailleurs). Et il arrive que les outils ne soient pas idoines pour certaines situations. Par exemple, si on cherche le mot accoter dans Le Petit Robert, on apprend que le sens québécois « vivre en concubinage » y est encore, sans marque d’usage, comme si cette expression était encore utilisée couramment (la marque vieilli ou vieux serait la bienvenue). Ou le mot indien qui a, encore une fois sans marque d’usage qui indique que ce mot est considéré comme péjoratif, la définition de « personne issue d’une ethnie établie en Amérique avant l’arrivée des Européens ». On repassera pour la description adéquate de la réalité canadienne. Un dictionnaire qui serait à jour dans sa connaissance des réalités sociales ne laisserait certainement pas passer ça.

Il ne faut pas oublier que les ouvrages de référence sont faits par des personnes. Des gens qui, tant bien que mal, essaient de décrire la langue (Le Petit Robert, à quelques exceptions près, a une volonté descriptive), en tentant de suivre les évolutions. Le fait qu’une forme ou qu’un sens soit absent d’un dictionnaire ne veut pas nécessairement dire que cette forme ou ce sens n’existe pas, ou constitue une faute. Cela peut simplement vouloir dire que les lexicographes qui travaillent à l’élaboration du dictionnaire en question n’en ont pas encore parlé.

De prime abord, on pourrait croire que ce qu’a fait François Legault, c’est de prendre la définition du Petit Robert parce qu’elle lui convenait et correspondait à ses attentes. Mais ce n’est pas ça. Ce qu’il a fait, c’est mal lire le dictionnaire sur lequel il voulait se baser.

Donc moi, pour cette chronique, je m’en venais dire que se fier à une source qui ne décrit pas bien la réalité de sa communauté linguistique, seulement parce que cette source dit ce qu’on veut qu’elle dise, c’est de la paresse intellectuelle. D’ailleurs, toutes les personnes qui enseignent comment faire des textes argumentatifs le diront : les définitions de dictionnaire comme argument, c’est rarement valide.

Mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant que si François Legault avait vraiment su lire un dictionnaire, il n’aurait pas pu se servir de son contenu comme argument, car cela n’aurait pas convenu à ce qu’il voulait affirmer. On n’est donc même pas de l’ordre de « il faut faire attention quand on se fie à un dictionnaire », mais bien de celui de « il faut savoir lire un dictionnaire ».

On trouve en effet la définition qu’il a donnée de systémique, « qui se rapporte à un système ou l’affecte dans son ensemble », dans Le Petit Robert. Mais l’édition de 2021 donne quelque chose de plus (j’ignore ce qu’il en est des autres éditions, il y a eu un dégât d’eau sur ma version papier) : « Inhérent à un système social donné. Violence, racisme systémique. » Oh. Oups.

Si on tient à se servir de la définition d’un dictionnaire pour soutenir une prise de position (ce qui est très faible comme méthode, je le rappelle), il faudrait AU MOINS consulter la version la plus récente dudit dictionnaire. La version qui tente de décrire la langue présente. Sinon, je pourrais très bien citer la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1762) et dire que parler François veut dit « parler avec autorité, & d’un ton menaçant ». Ça irait bien avec l’image du père de famille que dégage le premier ministre…