Nooran tué par la police : la faute des Villes démissionnaires

Les administrations municipales, qui ne font rien devant les abus répétés de leurs corps policiers, doivent en porter la responsabilité.

Il faut avoir été en jeûne médiatique pour ne pas avoir vu les nombreux reportages concernant Nooran Rezayi, ce jeune homme d’origine afghane âgé de quinze ans, abattu ce dimanche par un policier du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) suite à un soi-disant appel téléphonique parlant de présence d’armes parmi un groupe de jeunes.

Une des choses qui ressortent de cette tragédie, c’est la responsabilité de la personne dont la simple anxiété génère la mort. Ces gens qui ont vu des jeunes et déclenché une chaîne de réactions ont des comptes à rendre. Ce n’est pas aux parents de Nooran de porter cette douleur qui pourrit les psychés.

La police a abattu le garçon dans le temps de le dire. Même une milice anti-gouvernementale armée, en 2025, ou l’homme qui a tenté d’assassiner Pauline Marois, en 2012, ont reçu un traitement plus humain que Nooran, non armé et tué comme un animal en période de chasse.

Cette histoire rappelle tristement, pour trop de raisons, le sort de Fredy Villanueva, âgé de 18 ans, abattu après 60 secondes d’interaction avec le duo policier Pilotte-Lapointe dans un stationnement de parc le 9 août 2008, à Montréal-Nord. L’un d’eux sera ensuite promu au groupe tactique du SPVM.

Voulons-nous un monde où certains vivent avec une anxiété permanente nourrie par leurs fardeaux de classe, de race et de place?

Lorsqu’une personne, autre qu’un policier en service, décède, subit une blessure grave ou est atteinte par une arme à feu utilisée par un policier, l’enquête est confiée à un organisme : le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) qui, au dire de sa directrice, se veut impartial et indépendant.

Depuis sa création en 2013, le BEI n’a mené à aucune accusation de la part du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour des décès aux mains de la police, ce que rappelle avec éloquence mon collègue Alexandre Popovic dans son texte sur le sujet. Et pourtant, certaines personnes continuent d’accorder leur confiance à cette entité.

Avec son historique étincelant, le BEI est-il légitime de dissuader des proches du jeune Nooran de mener leurs propres enquêtes?

En réalité, le BEI peut lui-même être vu comme une machine à légitimer la force létale. Il oublie que son mandat émane des demandes et des mobilisations découlant du contexte entourant le décès de Fredy Villanueva, révélant les manquements des agents de l’État dans les minutes, semaines et mois suivant la tragédie.

Et pourtant, certaines personnes continuent d’accorder leur confiance à cette entité.

« J’ai pleinement confiance en le BEI pour faire toute la lumière sur cet événement et j’ai l’assurance de la pleine collaboration du SPAL à l’enquête », écrivait l’équipe de la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, parallèlement à ses stories Instagram mettant en valeur un article de La Presse sur ses joies actuelles et aspirations futures liées à la maternité.

Des joies dont la mère de Nooran est manifestement dépossédée.

Elle doit désormais revivre en boucle les réactions de son bébé qui a probablement paniqué, figé, tenté de prouver qu’il n’était pas une menace – pour finir sous un drap, identifié cinq heures plus tard par ses parents.

Les enfants de nos élu·es devraient-ils jouir d’un privilège qui ne s’étend pas à l’ensemble de la collectivité? Voulons-nous, comme société, un monde où certains peuvent voir leurs enfants vieillir et profiter des joies de la maternité, tandis que d’autres vivent avec une anxiété permanente nourrie par leurs fardeaux de classe, de race et de place?

La responsabilité des Villes

Mais la véritable question est la suivante : quelle est la responsabilité des administrations municipales face aux actions posées par leurs forces policières? N’est-ce pas elles qui approuvent leurs budgets?

Dans des villes comme Montréal, Longueuil ou encore Laval, on retrouve les mêmes dynamiques. Les forces policières font ce qui leur chante et les Villes laissent faire – ou pire, soutiennent leurs abus.

En 2022, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, annonçait sur son compte Instagram : « Voici Fady Dagher, notre nouveau directeur du SPVM. Il représente l’avenir de la police. […] C’est une nouvelle ère qui débute au SPVM. »

Dagher avait dirigé la police de Longueuil pendant six ans. On vantait ses réformes et sa mise en place d’une police « communautaire » et c’est pourquoi Montréal a voulu le recruter.

Maintenant, sous le vernis qui craque, le plancher s’effondre.

Quelle est la responsabilité des administrations municipales face aux actions posées par leurs forces policières?

En mai dernier, Dagher a hijacké la journée en mémoire des cinq ans depuis le meurtre de George Floyd en lançant une politique caduque visant à encadrer les interpellations policières arbitraires, source de profilage. L’art de neutraliser les revendications des rares acteurs non achetés par les subventions communautaires, qui luttent contre le racisme anti-Noir et l’impunité policière! La Ville n’a pas bronché.

Au printemps dernier, le 30 mars 2025, à Montréal, Abisay Cruz d’origine hondurienne, perdait la vie aux mains de la police, portant à deux le nombre de personnes tuées par le SPVM en un même week-end. Silence de la mairesse de Montréal.

Deux ans plus tôt, Valérie Plante déclarait, lors des audiences sur le recours collectif contre le profilage racial : « Je suis la gardienne, comme mairesse, de l’argent des contribuables. […] On ne peut pas non plus jeter l’argent par les fenêtres. » Lorsque le tribunal a condamné la Ville à payer les victimes de profilage, la Ville est allée en appel de la décision.

La séduction qui cache la répression

Au-delà du charisme et du charme de Fady Dagher se cache une fine stratégie qui empêche nos collectivités de voir toute la force du syndicat policier représentant des membres dotés d’un immense pouvoir de pression sur les administrations municipales.

Le chef Fady Dagher s’est longtemps vanté d’avoir instauré à Longueuil une culture policière plus humaine, mais il avoue lui-même que ses réformes, bien que suscitant curiosité et intérêt, se heurtaient à une forte résistance syndicale.

Il faut voir toute la force du syndicat policier doté d’un immense pouvoir de pression sur les administrations municipales.

Peut-être est-ce là aussi ce qui explique l’absence de véritables réformes en matière de répartition des ressources aux unités de l’administration. Les budgets policiers explosent année après année, au détriment du reste.

Car, bien que certains pouvoirs relèvent de la sécurité publique, ce sont bien les élu·es des Villes, qui adoptent le budget du SPVM, fixent les effectifs autorisés, déterminent certaines orientations générales et nomment la direction du service.

On en est à se demander : qu’est-ce que le SPVM sait de nos élu·es pour qu’ils et elles aient si peu de courage dans l’exercice de leur mandat?

La véritable question n’est pas seulement celle des corps policiers ou du BEI, mais celle des administrations municipales qui financent, protègent et taisent. Leur retenue face à la mort d’un adolescent de quinze ans dans leur territoire n’est pas de la neutralité : c’est une démission.

Clarification et correction : L’article a été mis à jour pour préciser que c’est plus précisément en matière de décès aux mains de la police que le travail d’enquête du BEI n’a mené à aucune accusation. La mention des trois décès lors d’interventions policières en une fin de semaine a été ajustée pour plutôt parler de deux morts à Montréal, les circonstances de celle survenue à Québec étant moins probantes. (25-09-2025)

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