
Dans une chronique, Joseph Facal prétend démontrer l’inutilité des politiques prônant l’égalité, la diversité et l’inclusion (EDI), en citant l’auteur d’un livre sur le sujet et en livrant une liste de sources… tirées d’un texte d’un think tank conservateur. Pivot est allé vérifier ces articles, qui ne disent pas tout à fait ce que voudrait nous faire croire le chroniqueur.
Résumons la controverse.
D’abord, la chroniqueuse Rima Elkouri publie dans La Presse une chronique sur la guerre que livre Donald Trump au « wokisme » et à l’EDI. Elle mentionne que le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon « a aussi discrédité récemment l’EDI comme étant un exemple de “politique woke” » et écrit que Joseph Facal, ancien ministre péquiste et chroniqueur au Journal de Montréal, « a aussi prétendu que les “preuves scientifiques” du caractère nocif de l’EDI s’accumulent ».
Joseph Facal répond par une chronique dans le Journal de Montréal, où il offre des sources qui confirmeraient l’inefficacité des politiques EDI.
Le chef du Parti québécois la partage sur X en dénonçant la « chronique aux procédés intellectuels douteux » de Rima Elkouri et la « pauvreté intellectuelle des charlatans de l’EDI ».
Mais qu’en est-il de ces fameuses preuves scientifiques?
Un professeur qui ne dit pas tout à fait ce que Facal lui fait dire
À en croire Joseph Facal, le professeur en stratégie et conseiller en management Olivier Sibony, qui vient de publier le livre La diversité n’est pas ce que vous croyez, a planté le clou final dans la notion de diversité au travail.
Mais bien que ce professeur à HEC Paris affirme – contrairement à Rima Elkouri – que la diversité n’améliore pas la productivité d’une entreprise, il rappelle aussi qu’elle demeure une responsabilité éthique.
Dans un entretien accordé au magazine L’Express, l’auteur affirme en effet que « les études ne corroborent pas l’existence d’un lien causal entre diversité et performance, ni à l’échelon macro des entreprises, ni à celui, micro, des équipes ».
Comme l’a rapporté Vanessa Destiné, journaliste et chroniqueuse, dans un commentaire sur Facebook, les citations rapportées par Joseph Facal proviennent de cette entrevue avec L’Express. L’article complet n’est disponible qu’aux abonné·es, mais la bibliothèque offrant un accès à l’article intégral, on peut y lire un peu plus loin que les propos d’Olivier Sibony sont plus nuancés.
L’auteur affirme d’emblée qu’« offrir des opportunités égales à tout le monde, indépendamment de son genre, de son orientation sexuelle ou de sa couleur de peau, est une obligation éthique et légale », et ce, peu importe si cela améliore la productivité ou non.
Il explique que les entreprises se basent sur des stéréotypes de leaders pour sélectionner des gens aux postes de direction d’une entreprise. Ces stéréotypes, souvent masculins, font en sorte que « plutôt qu’une vraie méritocratie qui consiste à sélectionner les meilleurs en fonction de leurs compétences, les dirigeants entretiennent ainsi une “miroirocratie”, qui consiste à rechercher des personnes qui leur ressemblent ».
La suite de l’entretien contient plusieurs solutions aux problèmes des inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde du travail. L’auteur est d’avis qu’il est difficile de changer les mentalités et qu’il faut donc « changer les méthodes », c’est-à-dire trouver de nouvelles façons de faire qui vont pallier ces inégalités.
Il donne en exemple les différences salariales entre les jeunes hommes et femmes qui sortent de l’école. Cela s’expliquerait « parce qu’ils négocient leur salaire », et que lorsqu’une femme le fait, c’est mal perçu. Pour Olivier Sibony, la solution n’est pas d’apprendre « aux filles à se battre », mais plutôt que les entreprises définissent des grilles salariales non négociables.
Des chercheur·es mal cités par un think tank de droite
Joseph Facal poursuit en offrant une liste de sources censées soutenir son point de vue, mais sans précision quant à leur contenu. Il affirme que « Mme Elkouri devrait lire Dobbin et Kalev (2018), Devine et Ash (2022), Paluck et Porat (2021), Legault et Gutsell (2011), Macrae et son équipe (1994), Al-Gharbi (2020), Cooley (2019), Haskell (2024), etc. »
Cette liste de noms de famille avec des dates entre parenthèses a tout l’air d’une liste d’articles publiés par des chercheur·euses dans des revues scientifiques. C’est presque le cas.
La dernière référence, « Haskell (2024) », est un texte publié par la Aristotle Foundation for Public Policy, un think tank canadien de droite fondé par Mark Milke. Milke a également fondé Second Street, un autre think tank conservateur associé au réseau Atlas.
De plus, toutes les autres références listées par Joseph Facal proviennent de ce texte de David Millard Haskell qui affirme que les formations à la diversité sont clivantes, contre-productives et non nécessaires.
Or, comme lorsque Joseph Facal parle du travail d’Olivier Sibony, les citations rapportées par Haskell ne disent pas tout.
Haskell tire des études qu’il cite les conclusions suivantes : les formations contre la discrimination ne fonctionnent pas, les études ne sont pas fiables et de plus, ces formations peuvent même augmenter les préjugés.
En lisant les articles cités, on note une certaine nuance dans les propos.
En effet, les ateliers de formation obligatoire à la diversité en milieu de travail, que Facal qualifie d’« ateliers de rééducation », ne fonctionnent pas, selon certain·es des auteur·es cités. Dobbin et Kalev (2018) rappellent que ce genre d’intervention ne fonctionne pas non plus lorsqu’il s’agit de sécurité au travail et que la formation ponctuelle doit être accompagnée « d’un programme de changement plus large » au sein de l’organisation.
L’article donne des exemples de changements structurels qui mettent l’accent sur l’autonomie des personnes et qui peuvent aider à combattre les préjugés. Les auteurs citent en exemple des programmes qui regroupent des gestionnaires de différents départements pour qu’ils et elles regardent les données sur les salaires, les taux de rétention et autres afin d’identifier des problèmes et proposer des solutions.
La recherche effectuée par Legault et Gutsell (2011) a démontré que les programmes contre les préjugés, qui mettent de la pression sur les gens en leur demandant de se plier à des normes sociales, ont l’effet inverse. Haskell mentionne cela, mais ne dit pas qu’une autre partie de cette étude démontre que lorsqu’on explique en quoi l’absence de préjugés est bénéfique, les résultats sont positifs.
La méta-analyse – c’est-à-dire une étude qui étudie une foule d’autres études – publiée par Paluck et Porat (2021) met en lumière plusieurs problèmes avec la recherche sur les interventions pour lutter contre la discrimination et propose des solutions. Malgré ces difficultés, les auteur·es ne rejettent pas l’idée d’intervenir contre les préjugés et affirment que « certains aspects de la littérature scientifique donnent de l’espoir quant au développement d’interventions efficaces ».
Tous ces auteur·es, à l’exception d’Haskell, reconnaissent que la discrimination et les préjugés raciaux sont un problème réel et qu’il est important de trouver des solutions, même si celles-ci ne sont pas faciles à mettre en place.
Ainsi, si Joseph Facal cite effectivement plusieurs sources au sujet de l’EDI et de ses limites, celles-ci ne soutiennent malheureusement pas vraiment son propos, voire le contredisent.



