Le début de l’étude du projet de loi menant à la création de Mobilité Infra Québec, l’agence étatique appelée à prendre en charge le développement des grands projets de transport, nous rappelle une triste réalité : mis à part le REM et la ligne bleue du métro de Montréal, des projets déjà bien avancés au moment de l’arrivée de la CAQ au pouvoir en 2018, c’est le calme plat.
Le Québec est en panne de projets structurants en transport collectif, alors que notre époque devrait appeler à redoubler nos efforts.
Pourtant, à Montréal seulement, ce n’est pas l’ambition qui manque. Deux grands projets se démarquent à la fois par leur niveau d’avancement ainsi que par leur caractère structurant : celui du grand Sud-Ouest (le descendant de l’ancienne « branche ouest de la ligne rose ») ainsi que le Projet structurant de l’Est (ce qu’est devenue l’idée de « REM de l’Est » abandonnée par la Caisse de dépôt et reprise par l’Autorité régionale de transport).
Tous deux ont pour point commun d’apporter une desserte de transport en commun conséquente à des endroits qui ne disposaient pas de mode moyen ou lourd jusqu’à maintenant : les arrondissements de Lachine et LaSalle à l’ouest, et à l’est les secteurs de Mercier, de Pointe-aux-Trembles, de l’est de Rosemont, de Saint-Léonard, de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies.
Et chaque projet a connu différentes incarnations. On a évoqué des propositions de métro « classique », de métro léger automatisé (comme le REM), de tramway, de tram-train ou de service rapide par bus à un moment ou un autre.
À mesure que les études de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) se précisent, une vision se dégage : on préférera maximiser la desserte locale plutôt que d’offrir un service express régional pour les gens de la périphérie.
Et cela ne fait pas l’unanimité.
Local contre régional
En effet, quand vient le temps de planifier des modes de transport plus lourds que l’autobus, on peut opter pour l’une ou l’autre de deux approches générales.
D’une part, une vision locale qui privilégie une couverture intensive du territoire et évite les déplacements à pied plus longs pour accéder au service, cela au prix d’une vitesse de croisière réduite et d’arrêts nécessairement plus fréquents.
D’autre part, une vision régionale qui offre un service rapide sur un plus vaste territoire – par exemple pour relier le centre-ville à la périphérie (que ce soit un quartier excentré ou une banlieue) – mais dont les arrêts sont plus espacés et nécessitent un plus long temps de déplacement entre chez soi et le point d’embarquement pour la plupart des gens.
Dans le cas du Projet structurant de l’Est (PSE), l’ARTM semble vouloir ménager la chèvre et le chou : offrir un service local pour les quartiers plus denses (Mercier-Est, Rosemont, etc.), avec des arrêts relativement proches les uns des autres, et un service de calibre régional, avec des vitesses plus élevées et des arrêts plus espacés pour les secteurs de Pointe-aux-Trembles et Repentigny. Ainsi, selon le tracé actuel, il serait plus facile pour les gens habitant dans les secteurs de se rendre à certains pôles générateurs de déplacements, comme les cégeps de Rosemont et Marie-Victorin ou l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, mais le temps de trajet vers le centre-ville ne serait pas radicalement raccourci.
On préférera maximiser la desserte locale plutôt que d’offrir un service express pour les gens de la périphérie. Et cela ne fait pas l’unanimité.
Ce scénario a été retenu à la suite d’études et de consultations citoyennes. En effet, durant la saga du REM de l’Est, différents groupes, comme le Collectif en environnement Mercier-Est, avaient réclamé un mode de transport local par opposition au service express régional proposé par la Caisse de dépôt.
Cette version du PSE a reçu certaines critiques, dont celle du chercheur Marco Chitti. En effet, ce dernier juge que l’option de tramway retenue offrirait un service trop lent pour le prix payé, en raison des nombreuses intersections que traverserait la ligne. Il propose plutôt de prolonger davantage les lignes verte et bleue du métro vers l’est.
Néanmoins, il faut rappeler que monsieur Chitti, en tandem avec Christian Savard de Vivre en ville et Christian Yaccarini de la Société de développement Angus, avait proposé son propre projet de remplacement pour le REM de l’Est, avant que l’ARTM n’entre dans le bal. Et ce projet avait clairement une vision régionale : métro léger, stations espacées et lien direct au centre-ville. Sa contre-proposition de prolongement de lignes de métro cadre également davantage avec une vision régionale (bien que cela se limiterait à l’île de Montréal et n’irait pas jusqu’en banlieue).
De son côté, le projet du grand Sud-Ouest a fait l’objet d’un dilemme similaire. L’ARTM a évalué différents scénarios, dont l’un impliquait de prolonger la ligne verte du métro jusqu’à Lachine – pour offrir un service similaire à celui de l’ancien scénario de branche ouest de la ligne rose de Valérie Plante. Ici aussi, cela se serait traduit par un service plus rapide vers le centre-ville, mais une offre locale moins intensive.
En cohérence avec le PSE, ce scénario a été écarté dans les dernières semaines, pour privilégier différents scénarios de tramway couvrant les arrondissements de LaSalle et Lachine, où l’auto règne comme en banlieue.
Un dilemme qui pourrait être évité
Mais, en fait, pourquoi devrait-on choisir entre les besoins des un·es et les besoins des autres? Ne faudrait-il pas améliorer le service local à Montréal aussi bien que celui des banlieues, si on veut réellement inciter les gens à laisser leur voiture chez eux (voire à ne plus en avoir)?
En fait, si nous sommes collectivement placé·es devant ce genre de dilemme, c’est pour des raisons politiques. Nous avons à Québec un gouvernement qui veut donner l’impression d’agir, mais dont le logiciel en transport est resté pris quelque part entre les années 1970 et 1990. En témoigne son obsession irrationnelle pour le projet de troisième lien à Québec, qu’aucun·e expert·e ne peut soutenir tant il risque d’aggraver le problème de congestion qu’il est censé régler.
Le Québec est en panne de projets structurants en transport collectif, alors que notre époque devrait appeler à redoubler nos efforts.
Un gouvernement qui prendrait au sérieux les défis de notre siècle serait en mesure de dégager des budgets pour agir sur les deux fronts à la fois : le local et le régional. Un tramway à LaSalle et un métro léger vers Repentigny. La ligne rose et un tramway vers Pointe-aux-Trembles.
D’autant plus qu’en multipliant les projets, on développe une expertise qui permet, à moyen terme, de faire baisser le prix de chacun d’entre eux.
Espérons que la CAQ se souvienne de ce que signifie le A de son acronyme. Ou mieux : souhaitons que le prochain gouvernement le comprenne mieux qu’elle.



