Le festival Fierté Montréal est accusé d’accueillir des groupes commanditaires, mais aussi des organisations communautaires soutenant Israël et ses violences contre le peuple palestinien. Les groupes qui dénoncent la situation expriment leur désarroi face au manque de positionnement du festival contre l’instrumentalisation des droits LGBTQ+ dans la justification de la guerre brutale en cours à Gaza.
Plusieurs dénonciations publiques ont été faites au cours des dernières semaines par des organismes et groupes LGBTQ+, en particulier Helem et Mubaadarat, qui soutiennent les personnes de la diversité sexuelle issues d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. D’autres groupes, comme Voix juives indépendantes, leur ont apporté leur soutien.
« Fierté a choisi d’inviter des groupes communautaires et corporatifs qui supportent le génocide palestinien », dénonçaient ainsi les trois organisations quelques jours avant le début du festival, qui dure du 1er au 11 août.
Plusieurs commanditaires sont ciblés par les critiques. Un des principaux partenaires de Fierté Montréal est la Banque TD, qui détenait en octobre dernier plus de 16 millions $ d’actions dans General Dynamics, une entreprise d’aérospatiale et d’armement soupçonnée de fournir des armes à Israël.
D’autres partenaires du festival, comme Pepsi, Starbucks, Home Depot, MAC Cosmetics ou encore les hôtels Marriott sont aussi accusés de soutenir ou de profiter de l’apartheid en Israël ou de la guerre brutale en cours.
Tensions entre organismes participants
Certain·es, dont Helem et Mubaadarat, dénoncent aussi la présence d’organismes communautaires invités au défilé de la Fierté alors qu’ils soutiennent ouvertement la guerre d’Israël et relaient sa rhétorique pro-LGBTQ+.
Les critiques ne ciblent pas de groupes en particulier, mais Pivot a pu constater que l’organisme Ga’ava tenait effectivement de tels discours.
Ga’ava, qui œuvre pour la communauté LGBTQ+ juive de Montréal, repartage par exemple sur sa page Facebook des contenus célébrant les membres LGBTQ+ de l’armée israélienne.
L’organisme s’est aussi indigné publiquement lorsque le Conseil québécois LGBT (CQ-LGBT) a dénoncé l’instrumentalisation des droits LGBTQ+ par Israël dans le cadre de la guerre en cours. Carlos Godoy, président de Ga’ava, avait alors associé la sortie du CQ-LGBT à un soutien au Hamas.
Israël est « la seule vraie démocratie du Moyen-Orient » et le « seul pays du Moyen-Orient qui offre l’égalité juridique à ses citoyens LGBTQIA+ », affirmait Carlos Godoy, dénonçant en retour « le traitement ignoble des minorités à Gaza ».

Un commentaire de Carlos Godoy sous une publication Instagram critiquant Fierté Montréal semble aussi faire l’apologie de crimes de guerre. En réponse à une personne déplorant le massacre de femmes et d’enfants, il écrit : « Si tu ne veux pas mourir, ne commence pas la guerre? »
Contacté par Pivot, Ga’ava affirme que ses prises de position en soutien à Israël reflètent celles de la majorité de la communauté juive.
« Israël utilise le pinkwashing pour défendre ce qu’il fait à la Palestine et à beaucoup d’autres pays qui l’entourent. »
Zev Saltiel, Voix juives indépendantes
Des tensions sont survenues au cours des préparatifs du festival Fierté Montréal entre groupes pro-palestiniens et pro-israéliens.
« Pendant une réunion de tous les organismes qui allaient participer au défilé, le fait qu’un groupe ou des groupes sionistes allaient marcher a été amené à la discussion », rapporte Zev Saltiel, membre du groupe Voix juives indépendantes. « Puis, à ce moment, des membres de ces groupes-là ont commencé à émettre des commentaires racistes, agressifs. »
« Fierté n’a rien dit. Quand on a commencé à répondre, ils ont dit de faire attention avec notre langage. Ils ont essayé d’éviter de parler de ce qui était en train d’arriver », déplore-t-il
« C’était vraiment très difficile. Il y a des groupes qui ont reçu des appels le lendemain par des groupes sionistes, leur disant qu’ils allaient faire des plaintes au gouvernement. »
Dans une conversation numérique réunissant des participant·es au défilé, que Pivot a pu consulter, Carlos Godoy qualifie les groupes LGBTQ+ qui dénoncent les violences sionistes de « pro-Hamas », déplorant leur participation à l’événement.
Ga’ava dénonce « l’intimidation » dont les personnes juives LGBTQ+ et Fierté Montréal seraient la cible. « Nous trouvons regrettable de voir que certains groupes radicalisés sont prêts à tout pour invisibiliser les voix des Juives et Juifs queers qui ont droit à leurs propres croyances », écrit l’organisme par courriel.
« De la peinture rose pour cacher le sang »
Plusieurs estiment que Fierté Montréal serait devenue une plateforme promouvant le « pinkwashing »en accordant de la visibilité et de la légitimité notamment à des entreprises qui bénéficient de l’occupation et des violences israéliennes.
« Le festival a besoin de partenaires pour avoir lieu, mais les partenaires qui sont sélectionnés par Fierté Montréal ne sont pas des partenaires qui, toute l’année, supportent les personnes membres de la communauté LGBTQI2S+ », déplore Samya Lemrini, présidente d’Helem.
« Ce sont des partenaires qui ont besoin de leur capital de pinkwashing pour avoir l’air inclusifs. Et ils profitent de la fierté pour effectivement donner l’impression qu’ils sont inclusifs, alors que dans les faits, ils ne le sont pas du tout. »
Zev Saltiel souligne le lien avec l’utilisation par Israël et ses défenseurs d’un discours vantant son ouverture aux personnes LGBTQ+ pour justifier sa suprématie sur d’autres populations de la région.
« Jamais mon identité queer, pour laquelle je me suis battue ne pourra être utilisée pour justifier le génocide. »
Samya Lemrini, Helem
« L’État d’Israël a tout intérêt à se présenter comme […] le seul endroit où il est possible d’être queer en toute sécurité au Moyen-Orient », explique Zev Saltiel.
« Mais c’est à la fois faux et raciste pour les identités queers arabes et même pour les Juifs qui vivent en dehors de l’État d’Israël au Moyen-Orient. Les queers ne peuvent pas se marier […] en Israël – ils peuvent le faire ailleurs et revenir, ça c’est légal. »
Selon Zev Saltiel, Israël « utilise le pinkwashing pour défendre ce qu’il fait à la Palestine et à beaucoup d’autres pays qui l’entourent : “nous faisons cela pour les queers, pour que les queers puissent vivre ici en toute sécurité et aucun autre pays autour de nous ne peut le faire” ».
« C’est vraiment juste une distraction. C’est comme de la peinture rose qu’on vient mettre pour essayer de cacher tout le sang qui a coulé en raison de l’instrumentalisation de nos identités queer. »
« Et on le dit, on le réitère : pas en notre nom. »
Le festival a refusé de répondre aux questions de Pivot, mais assure dans un courriel que « toutes [l]es parties prenantes de Fierté Montréal croient à l’avancement des droits 2SLGBTQIA+ et contribuent, selon leurs missions et leurs moyens respectifs, au bien-être des communautés à Montréal, au Québec, au Canada et ailleurs ».
Inaction à Fierté Montréal
Helem, Mubaadarat, Voix juives indépendantes et Sapphix, notamment, ont rencontré Fierté à plusieurs reprises pour tenter de résoudre la situation, ce qui n’aurait rien fait avancer, selon eux.
Ces groupes demandent que Fierté Montréal dénonce le pinkwashing exercé par Israël, se dissocie publiquement de la Banque TD et des autres commanditaires « qui financent et profitent du génocide », et enfin que le festival refuse publiquement toute participation sioniste ainsi que la présence de drapeau israélien au défilé.
« Au lieu de répondre à nos demandes, on nous a donné des petits cadeaux » comme des kiosques plus en vue, près du métro, lors des Journées communautaires, dénonce Samya Lemrini, d’Helem.
« On leur a demandé de désinvestir et au lieu de désinvestir, bien sûr, ils ont plutôt proposé de réinvestir dans des activités pour acheter notre silence. »
Fierté Montréal assure que le festival « est une organisation pacifiste et humaniste » et « ne tolère pas les propos ni les comportements haineux, racistes, belliqueux, xénophobes […] ni dans le cadre de ses activités festivalières, ni sur ses plateformes de communications, ni dans ses relations avec ses multiples parties prenantes, ni dans ses opérations internes ».
« On leur a demandé de désinvestir et ils ont plutôt proposé de réinvestir dans des activités pour acheter notre silence. »
Samya Lemrini
Les groupes continuent de faire pression et ont décidé de ne pas boycotter le festival, bien que la collaboration avec Fierté soit désormais jugée inacceptable pour certaines personnes de leurs communautés.
« On croit en la diversité des tactiques », explique Samya Lemrini. « Effectivement, on n’est pas nécessairement enjoué·es à l’idée de marcher à la parade et on ne le fait pas pour célébrer. On le fait pour être présents. […] On le doit à nos adelphes palestinien·nes. »
« Ne pas y aller, ça serait donner la tribune à des gens qui ne la méritent pas. Et donc, par notre présence, on va démontrer notre protestation à la présence de ces groupes-là. »
« On y va parce que jamais mon identité queer, pour laquelle je me suis battue, de femme arabe, de femme marocaine, jamais cette identité-là ne pourra être utilisée pour justifier le génocide », martèle Samya Lemrini.
« Pas en notre nom. »



