Le vendredi 13 octobre dernier, j’étais invitée à Massey College afin de participer à un évènement soulignant les nombreuses contributions des leaders des nations autochtones. Des femmes-médecines, des scientifiques, des poètes, des doctorant·es autochtones.
Ont été célébrés notamment les accomplissements de l’artiste peintre Robert Houle, dont l’une des œuvres phares est la toile Kanata, ainsi que ceux de l’ex-chef national de l’Assemblée des Premières Nations Phil Fontaine, ardent défenseur de l’avenir du Canada et des peuples autochtones, figure centrale de la Convention de règlement des pensionnats indiens et dont la vision est inscrite dans la Commission vérité et réconciliation. Ces deux géants ont fréquenté le même pensionnat indien au Manitoba.
Dans son allocution, Phil Fontaine nous a parlé de l’importance de la réconciliation, objectif commun à tou·tes les Canadien·nes et qui ne peut être porté que par les nations autochtones. Pour se libérer des empreintes coloniales qui sont toujours visibles dans la société canadienne, c’est là le plus important projet de l’histoire du pays.
Pour parvenir à une réconciliation et soigner les empreintes du passé sur le présent, il faut reconnaitre profondément, et non de façon superficielle, la vie des Autochtones, leurs pratiques culturelles ainsi que leurs spiritualités. Bref, le fondement de leur existence, leur humanité.
Certains diront que le passé, c’est le passé. Or, comme le soulignait Michel-Rolph Trouillot dans Silencing the Past, « le passé n’existe pas indépendamment du présent. En effet, le passé n’est passé que parce qu’il y a un présent. […] Le passé est une position. Ainsi, en aucun cas nous ne pouvons identifier le passé comme passé. »
Faisons donc un retour sur ce passé qui est le nôtre, et sur les impératifs du présent.
Déshumanisation
Cette année, une réminiscence du passé a été désavouée : la « doctrine de la découverte » a été rejetée par le Vatican. Ainsi, l’Église a reconnu que les bulles papales « n’ont pas reflété de manière adéquate l’égalité de dignité et de droits des peuples autochtones ».
Fondement de la colonisation, cette théorie présumait la supériorité des Européens sur les autres peuples. En 1492, lorsque Christophe Colomb a « découvert » l’Amérique, au nom de la Couronne espagnole, il a invoqué le concept de « terra nullius » (terres inoccupées). Cela a permis aux Européens de s’approprier indument des terres. Cette théorie a évolué : seront considérées « terra nullius » les terres occupées par les peuples « non-civilisés », qui pourront donc être spoliées.
Cette théorie a préparé le terrain pour l’élaboration de théories racistes justifiant l’esclavage, notamment celui des peuples autochtones.
Bien qu’on prétende que l’esclavage ait été marginal en Nouvelle-France (dont une partie du territoire est devenu le Québec), cette lecture de l’histoire ignore qu’ici aussi, des personnes ont été déshumanisées.
Comment défendre cette position à la lumière de l’article 47 des Articles de la Capitulation de Montréal de 1760 : « Les n****** et panis [esclaves autochtones] des deux sexes resteront en leur qualité d’esclaves en la possession des Français et Canadiens, à qui ils appartiennent : il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie ou de les vendre. »
Cette déshumanisation a été, par la suite, le socle des politiques d’assimilation.
Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint du ministère des Affaires indiennes dans la première moitié du 20e siècle, voulait se débarrasser du problème autochtone. L’objectif : qu’il n’y ait plus un·e seul·e Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé·e dans le corps politique majoritaire.
La politique des pensionnats indiens a eu des effets mortifères sur les nations autochtones, qui s’apparentent à un génocide, comme l’a reconnu le pape François.
Peuples fondateurs
Selon Phil Fontaine, reconnaitre le passé, c’est aussi reconnaitre qu’il y a trois peuples fondateurs au Canada. Il est temps de reconnaitre les nations autochtones comme des peuples fondateurs.
Cette absence de reconnaissance de la présence des peuples autochtones, qui avaient leurs propres systèmes de gouvernance ainsi que leurs systèmes de justice, est la source d’importantes conséquences. C’est ce que soulignaient Phil Fontaine et la professeur Kathleen Mahoney lors d’une conférence intitulée « Comment l’histoire trompeuse des origines du Canada corrompt l’identité canadienne et l’État de droit », le 2 octobre dernier.
Bien que des changements constitutionnels pourraient être envisagés, l’histoire nous a appris que ceux-ci sont difficiles, voire impossibles à réaliser. Une option proposée par les conférencier·ères : promulguer une loi qui aurait une portée quasi constitutionnelle, comme la Loi sur les droits de la personne. Cette reconnaissance des Autochtones comme peuples fondateurs permettrait de faire face au défi auxquels les Canadien·nes sont confronté·es.
S’entêter à mal faire
Comment peut-on se réconcilier lorsque le Québec fait partie des cinq provinces qui se sont opposées au projet de loi C-15 du gouvernement fédéral visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), finalement adopté en 2021? Cette opposition est des plus préoccupantes dans un contexte de réconciliation. Pourtant, dès 2019, le gouvernement du Québec avait appuyé une motion visant à mettre en œuvre les principes de la DNUDPA.
Et que dire de la contestation en Cour suprême, par le gouvernement du Québec de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui « offre la possibilité aux peuples autochtones de déterminer leurs propres solutions pour leurs enfants et leurs familles », notamment en matière de protection de la jeunesse? Une question se pose : qu’a-t-on appris de l’expérience des pensionnats?
Et que penser du projet de loi provincial sur la sécurisation culturelle dans le réseau de la santé? Même le Collège de médecin considère que le projet de loi préconise une approche « colonialiste et paternaliste », ignore la voix des nations autochtones et s’obstine à refuser la reconnaissance du racisme systémique.
L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) demande le retrait de ce projet de loi, tout comme elle refusait celui sur les langues autochtones, finalement mis sur la glace récemment. Pour elle, Québec ne doit pas légiférer sur les compétences des Premières Nations.
Le 28 septembre, Carol Dubé, époux de Joyce Echaquan, se demandait pourquoi. « Pourquoi attendons-nous encore que ceux qui ont le pouvoir de décider se mettent en action? »
Vérité, réconciliation – une réflexion s’impose : au-delà du mot « réconciliation », la reconnaissance est une manifestation cruciale de la véritable réconciliation.
Il faut exemplifier le courage dont nous parle Sven Lindqvist dans Exterminate All the Brutes : « Vous en savez déjà assez. Moi aussi. Ce n’est pas la connaissance qui nous manque. Ce qui nous manque, c’est le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conclusions. »


