Les nationalistes aiment-iels vraiment la liberté académique?

Facile de défendre la liberté quand les chercheur·euses disent ce qu’on veut entendre.

Le 13 septembre dernier, le Département d’histoire de l’Université de Montréal partageait sur feu Twitter une invitation à deux causeries organisées par le théâtre Prospero en collaboration avec le Groupe d’études sur le colonialisme québécois.

À lui seul, le nom de ce collectif (qui existe par ailleurs depuis plusieurs années) suffit à provoquer un profond outrage tant du côté des nationalistes-conservateurs que des courageux trolls anonymes d’extrême droite. Le crime de lèse-Nation était pourtant clair : comment oser sous-entendre que le peuple canadien-français ne détient pas le monopole de la souffrance universelle?

En lisant les réactions et quelques chroniques, on se rend compte qu’il faudrait « faire le ménage » à l’université. D’une façon ou d’une autre, le temps est venu d’expurger la maladie woke qui pervertit nos départements d’histoire, en coupant leur financement ou bien en surveillant de plus près le contenu de l’enseignement et de la recherche. Une rhétorique qui en rappelle d’autres.

Ce retournement de situation porte évidemment à sourire. Ces mêmes individus qui combattirent vaillamment pour le droit inaliénable de dire le mot-en-n et qui obtinrent de toute urgence une loi sur la liberté académique s’inquiètent déjà de ses excès.

C’est bien joli les principes, mais la Nation est attaquée!

L’union sacrée

À partir du 19e siècle, les bâtisseurs des États-nations qui émergeaient partout en Europe devaient réunir sous une même bannière des populations divisées non seulement par les classes sociales, mais aussi par diverses langues et cultures régionales qu’il importait de détruire.

Mais Dieu était mort et ces esprits rationalistes n’avaient pas l’intention de le réanimer. La Nation constituerait désormais cette nouvelle puissance transcendante devant laquelle toutes les identités et toutes les revendications devaient s’incliner.

Il est cocasse qu’on accuse la recherche actuelle de faire dans l’idéologie ou dans la militance.

Pour assoir sa légitimité, on mit à profit les sciences historiques alors naissantes pour qu’elles forgent une mythologie nationale à la fois unique et dotée d’une portée profondément identitaire. Ce récit prendrait la forme d’une histoire politique et institutionnelle décrivant la généalogie de l’État-nation moderne, présenté comme l’aboutissement du destin commun.

Au Québec, c’est surtout à partir du deuxième tiers du 20e siècle que les historien·nes devinrent des acteurs et des actrices incontournables de la construction nationale. On brossa ainsi le portrait d’un peuple conquis et éternellement malmené (par les Anglais, l’Église, les Américains ou les Anglo-canadiens), mais doté d’un destin particulier devant le mener vers son émancipation politique.

Il est somme toute cocasse qu’on accuse la recherche actuelle de faire dans l’idéologie ou dans la militance. Les historien·nes nationalistes, tout en produisant pour la plupart des recherches à la fois sérieuses et rigoureuses, faisaient de la liberté académique un acte de résistance et s’investissaient pleinement dans la Cité. Iels militaient.

Ces travaux n’affolent pas trop les Mario Dumont et Mathieu Bock-Côté de ce monde : l’idéologue vient toujours de l’autre camp.

L’alliance rompue

Prétendant à l’universalisme, l’histoire nationale s’intéresse le plus souvent à une « majorité historique » partiellement fantasmée et présentée comme un corps à la fois organique et unitaire. Chez nous, le Canadien français est par défaut blanc, catholique, hétérosexuel et cisgenre. De plus, les classes populaires passionnent peu et on leur préfère l’élite plus à même de personnifier la nation.

Évidemment, les minorités sexuelles, religieuses, culturelles ou ethniques existent, mais elles ne doivent jamais devenir les personnages principaux du récit. De la même façon, il faut limiter la place qu’y occupent la lutte des classes, les rapports d’exploitation ou de domination, les violences institutionnelles, le racisme systémique ou les inégalités entre les hommes et les femmes. Insister sur le mouvement ouvrier, par exemple, risquerait de fracturer cette unité idéalisée.

Ce qui importe, c’est la Nation et les institutions dont elle se dote dans sa marche vers l’émancipation.

Inhérent à la liberté académique, le développement des sciences historiques tout au long du 20e siècle a cependant mené les universitaires à complexifier leurs analyses. S’émancipant du cadre rigide de la Nation, l’histoire sociale, l’histoire des femmes ou du genre, l’histoire culturelle ou bien les études post-coloniales se font sciences sociales et s’intéressent aux dynamiques profondes qui agitent notre passé. On ouvre alors une boite de pandore : et si on trouve des choses qui contredisent le mythe national?

C’est bien joli les principes, mais la Nation est attaquée!

Ces transformations ne s’expliquent pas par un complot fédéral, par la haine de soi ou le wokisme. Elles s’expliquent par le développement naturel d’une discipline toujours désireuse d’affiner ses analyses, de dévoiler de nouvelles couches de complexité ou de réévaluer des travaux précédents au regard de nouvelles théories.

En somme, une science qui fonctionne comme elle se doit.

À quoi servent les départements d’histoire?

Au sein du mouvement nationaliste-conservateur, cette émancipation constitue cependant une trahison. Pour Mario Dumont, par exemple, « les historiens de nos universités snobent le nationalisme québécois » et, comble de l’outrage, préfèrent parler de « certaines minorités ». L’horreur, quoi.

En définitive, la discussion ne porte pas sur des questions de faits, de données, de théories ou de méthodologies, puisqu’elle provient généralement de non-spécialistes qui ne connaissent ni l’état ni le fonctionnement de la recherche universitaire.

L’idéologue vient toujours de l’autre camp.

Le débat concerne plutôt le rôle social des départements d’histoire. Dumont et ses comparses n’ont pas grand-chose à faire d’une histoire scientifique et mondiale contribuant à notre compréhension des phénomènes humains. Iels ne veulent pas davantage d’une discipline tout à fait libre de progresser de façon collégiale sur la base de nouvelles avancées théoriques et méthodologiques.

Iels veulent du récit, du mythique, des histoires qui racontent le « nous » tel qu’iels le conçoivent. Le public finance ces institutions et il veut un retour sur investissement, pas une réalité complexe et parfois pénible qui n’intéresse que quelques universitaires wokes. Quant à l’histoire ancienne et médiévale ou bien l’histoire d’autres civilisations, elles ne s’avèrent dignes d’intérêt que lorsqu’on peut les intégrer à la généalogie nationale. Sinon, à quoi bon?

Une décision

Il est facile de défendre la liberté académique quand les chercheurs et les chercheuses disent ce qu’on veut entendre.

Une fois pour toutes, les nationalistes de droite doivent déterminer s’iels y adhèrent sincèrement.

S’iels admettent sans réserve que les historien·nes doivent pouvoir décider sans contraintes des orientations de leurs recherches ou si les départements d’histoire devraient obéir à quelques préceptes nationalistes.

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