
Article de l'Initiative de journalisme local
Repenser la justice pour les jeunes victimes de cyberviolences sexuelles
À l’heure où les violences sexuelles en ligne contre les enfants augmentent à une vitesse fulgurante, les solutions manquent pour protéger et répondre aux besoins des victimes.
Les cyberviolences sexuelles contre les enfants connaissent une hausse fulgurante depuis quelques années. Pourtant, seulement une fraction des criminel·les font l’objet de poursuites judiciaires. Selon le Bureau international des droits des enfants, c’est là le signe qu’on ne peut pas uniquement compter sur les mécanismes de justice traditionnels afin de répondre aux besoins des victimes.
Depuis quelques années et tout particulièrement depuis le début de la pandémie, on recense de plus en plus de cyberviolences sexuelles contre les enfants au Canada.
Le Centre canadien de protection de l’enfance a rapporté une hausse de 815 % des signalements de leurres informatiques d’enfants à des fins sexuelles entre 2018 et 2022.
« Ce qui a été catastrophique, c’est d’avoir de plus en plus de jeunes sur internet et moins de contrôle parental », explique une porte-parole du Bureau international des droits des enfants (IBCR). « De l’autre côté, les prédateurs ont profité de techniques plus sophistiquées. »
Pour accéder à des victimes, les prédateurs peuvent avoir recours aux réseaux sociaux comme Facebook ou Snapchat, mais aussi aux jeux vidéos en ligne qui connectent plusieurs joueur·euses en temps réel.
C’est ainsi qu’ils peuvent gagner la confiance de leurs victimes, souvent en se faisant passer pour un·e autre enfant afin d’éventuellement inciter à envoyer des photos ou des vidéos explicites. Ces images sont par la suite utilisées comme levier afin d’obtenir davantage de matériel pornographique, qui devient souvent progressivement plus violent et graphique.
Justice désuète
Si les données montrent que ce type de crime est en croissance au pays, il est difficile de connaître l’ampleur réelle du problème, selon les expert·es, qui estiment que seulement une faible portion fait l’objet de dénonciation. Et parmi les cas répertoriés, très peu donnent lieu à des poursuites criminelles.
Selon Statistique Canada, seulement 9 % des crimes d’exploitation ou de violence sexuelle en ligne contre les enfants déclarés à la police aboutissent devant les tribunaux.
« On ne peut pas compter sur le système de justice tel qu’il est maintenant pour que les enfants obtiennent réparation. »
Bureau international des droits des enfants
Une majorité des enquêtes (76 %) est abandonnée par les autorités pendant leur cheminement, avant que l’affaire soit résolue et qu’un·e auteur·e soit identifié·e. Cela s’expliquerait par la complexité du processus d’enquête et de l’identification des victimes et des contrevenantes en ligne. Ces derniers sont identifiés dans seulement 24 % des cas déclarés à la police.
« Il y a des mécanismes qui sont mis en place au [Canada] et à l’international pour cibler les auteurs, mais c’est très compliqué », explique la porte-parole du IBCR. « On ne peut pas compter sur le système de justice tel qu’il est maintenant pour que les enfants obtiennent réparation. »
Selon l’IBCR, les poursuites criminelles, en plus d’être peu efficaces, ne répondent pas toujours aux besoins des enfants. « Dans l’immédiat, ce n’est pas ça qui va faire du bien aux jeunes victimes. »
Solution pour et par les jeunes
Pour l’IBCR, une partie des initiatives existantes pour prévenir les cyberviolences sexuelles ne tient pas suffisamment compte de la réalité des jeunes. Par exemple, « ça fait partie de la sexualité, de la réalité des jeunes de s’envoyer des images », soutient la porte-parole. « On ne peut plus leur dire de ne pas envoyer d’images, parce que ça fait partie de leur quotidien. Par contre, il faut qu’ils soient sensibilisés sur les dangers. »
À l’heure actuelle, selon l’IBCR, le meilleur pari pour contrer le problème est donc de miser sur la prévention participative : une prévention pour et par les jeunes.
C’est notamment ce dont il est question dans le projet Parole aux jeunes! dans le cadre duquel des jeunes âgé·es de 14 à 17 ans, réparti·es dans trois écoles et deux organisations communautaires à Montréal, seront invité·es à émettre des recommandations afin de mieux prévenir et agir contre les violences sexuelles en ligne. Ce sont donc eux et elles qui détermineront une grande partie de la solution.
« Ça fait partie de la sexualité, de la réalité des jeunes de s’envoyer des images. On ne peut plus leur dire de ne pas envoyer d’images, parce que ça fait partie de leur quotidien. Par contre, il faut qu’ils soient sensibilisés sur les dangers. »
Bureau international des droits des enfants
L’idée est d’abord de concevoir une campagne de sensibilisation pour les jeunes au Québec sur l’exploitation sexuelle en ligne, de sorte à ce qu’ils et elles se sentent interpellé·es.
Cette sensibilisation devrait aussi fournir un éventail de solutions réparatrices adaptées aux besoins des victimes.
« On ne peut pas avoir une seule réponse », pense la porte-parole. « Chaque jeune sera différent et c’est à eux de se prononcer. »