Une loi pour forcer les entreprises à faire passer les personnes avant les profits

LETTRE OUVERTE | Un projet de loi soumis à Ottawa permettrait par exemple aux gens ordinaires de poursuivre en justice des entreprises pétrolières canadiennes qui n’ont pas instauré des politiques adéquates en matière d’atténuation des changements climatiques.

Au cours des dernières années, des citoyen·nes canadien·nes préoccupé·es par les menaces croissantes que les changements climatiques font peser sur leurs droits ont intenté une série de poursuites visant à tenir les gouvernements responsables de leurs politiques climatiques.

La plus connue au Québec – et la première au pays – est sans doute la cause intentée par l’organisme Environnement Jeunesse en 2018, qui souhaitait exercer une action collective contre le gouvernement canadien au nom de tou·tes les jeunes du Québec, l’accusant de « porter atteinte aux droits des jeunes » en misant sur un plan climatique inadéquat.

Cette vague de litiges climatiques fondés sur les droits a toutefois rencontré des obstacles, dont le plus important est la réticence des tribunaux canadiens à intervenir dans des questions jugées de nature politique, car relevant des législateurs élus.

Un projet de loi actuellement étudié par la Chambre des communes permettrait d’éviter cet écueil en ouvrant une nouvelle avenue pour les poursuites climatiques au Canada. Pour aboutir, ce projet de loi privé devra recevoir un appui significatif de la part de plusieurs partis, ce qui n’est pas garanti. Mais s’il est adopté, il pourrait fournir à la population canadienne un nouvel outil puissant pour lutter contre les changements climatiques.

Le projet de loi C-262, intitulé Loi sur la responsabilité des entreprises de protéger les droits de la personne, imposerait une large gamme d’obligations en matière de droits de la personne aux entreprises canadiennes, qui seraient tenues de prévenir les dommages sociaux et environnementaux causés à l’étranger par leurs activités et leurs relations commerciales, d’en tenir compte et d’y remédier. Les entreprises devraient notamment veiller à ce que leurs activités n’aient pas d’incidence négative sur le climat pouvant porter atteinte aux droits de la personne, dont les droits à la sécurité alimentaire, à la santé, à la sûreté et à un environnement sain.

Les pétrolières canadiennes qui exportent la destruction climatique ne pourraient plus agir en toute impunité.

Concrètement, cela signifie qu’en vertu de l’avant-projet, les membres de la société civile pourraient poursuivre en justice des entreprises pétrolières et gazières canadiennes qui n’ont pas instauré des politiques adéquates en matière d’atténuation des changements climatiques.

Par exemple, une entreprise pourrait s’exposer à des poursuites si elle ne parvient pas à identifier correctement l’incidence de ses exportations de combustibles fossiles ou de ses activités à l’étranger sur les changements climatiques, à réduire cette incidence et à atténuer le risque de répercussions négatives dans l’avenir. Un tribunal pourrait ordonner à l’entreprise de réduire ses émissions et même imposer des dommages-intérêts punitifs afin d’indiquer aux autres entreprises qu’elles doivent prendre au sérieux leurs responsabilités à l’égard du climat.

De tels litiges ne se buteraient pas aux mêmes obstacles que les poursuites climatiques engagées jusqu’ici contre les gouvernements fédéral et provinciaux, car les tribunaux ne seraient pas tenus de se prononcer sur les politiques climatiques adoptées par les élus. Les juges devraient uniquement déterminer si les entreprises ont respecté leurs obligations en vertu de la loi et éviteraient ainsi de s’aventurer sur le terrain politique.

Les effets potentiels de cette loi apparaissent clairement lorsqu’on considère que les émissions des combustibles fossiles exportés par le Canada ont explosé et dépassent aujourd’hui les émissions combinées de tous les secteurs au pays. Les pétrolières canadiennes qui exportent la destruction climatique ne pourraient plus agir en toute impunité.

Des lois semblables en Europe

La Loi sur la responsabilité des entreprises de protéger les droits de la personne s’inspire de lois semblables promulguées récemment ou en cours d’élaboration dans plusieurs pays européens et à l’échelle de l’Union européenne, dans le sillage de la loi avant-gardiste sur le devoir de vigilance que la France a adoptée en 2017.

Alors que les pays européens entreprennent le virage, le Canada prend du retard.

Les défenseurs de l’environnement ont rapidement saisi l’occasion de mettre à l’essai la loi française sur le devoir de vigilance. En janvier 2020, une coalition d’ONG françaises et de collectivités locales (auxquelles se sont jointes depuis les villes de Paris et New York) a engagé des poursuites contre le géant français du pétrole Total, soutenant que l’entreprise ne parvenait pas à identifier les risques de ses activités pour le climat dans son plan de vigilance. Le procès contre Total, qui cherche à obliger l’une des plus importantes compagnies pétrolières au monde à réduire sa production, est toujours en cours.

Toutefois, il laisse déjà entrevoir le type de litige climatique qui pourrait être soumis aux tribunaux canadiens à la suite de l’adoption du projet de loi C-262.

Alors que les pays européens entreprennent un virage vers des mesures de responsabilisation des entreprises plus sévères, le Canada prend du retard. La Loi sur la responsabilité des entreprises de protéger les droits de la personne lui fournit l’occasion de rattraper le temps perdu et de se joindre à ces pays précurseurs qui font passer les êtres humains et la planète avant les profits des entreprises.

Shawn Katz est porte-parole d’Above Ground, un projet pour les droits de la personne et la reddition de comptes des entreprises. Cette lettre est d’abord parue en anglais dans The National Observer.

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