La semaine dernière, on apprenait que le maire de la municipalité de Bois-des-Filion craint que le projet de prolongement de l’autoroute 19 ne « coupe en deux » sa ville. Une crainte que l’on pourrait considérer comme tout à fait normale et légitime… si Bois-des-Filion n’avait pas été, dans les dernières décennies, à l’avant-garde du mouvement réclamant cette nouvelle absurdité autoroutière.
La principale source de préoccupation du premier magistrat de cette ville de la Rive-Nord semble être l’impact visuel d’un pont d’étagement qui enjambera le boulevard Adolphe-Chapleau, ainsi que du mur antibruit qui bordera l’autoroute. Les « vues » des propriétaires de maisons le long du futur ouvrage risquent d’être partiellement bloquées.
Or, il est légitime de poser la question : ces gens qui aujourd’hui s’inquiètent soudainement de cet impact visuel, avaient-ils déjà vu à quoi ressemble une autoroute en contexte urbain avant d’en réclamer la construction?
On veut une autoroute qui apparaît quand on prend son véhicule et qui disparaît quand on rentre chez soi.
Mentalité d’habitacle
La sortie du maire de Bois-des-Filion est en fait symptomatique de la mentalité d’habitacle qui accompagne la culture automobile en Amérique du Nord.
Bien dans sa bulle, on réfléchit le développement urbain à partir de la facilité d’utilisation de l’automobile, quitte à sacrifier la qualité de vie ainsi que la sécurité et l’accès à d’autres modes de transport. Et lorsque des impacts négatifs se profilent à l’horizon, on tente de les atténuer plutôt que de remettre en question les projets routiers eux-mêmes.
Pourtant, l’histoire des 70 dernières années est riche d’exemples où la construction d’autoroutes a déchiré le tissu urbain – et l’on commence à peine à réparer certaines de ces erreurs historiques.
Autrement dit : on veut le beurre et l’argent du beurre. L’autoroute et les « vues ». On veut une autoroute qui apparaît quand on prend son véhicule et qui disparaît quand on rentre chez soi. On veut plus de place pour la voiture, mais moins de circulation de transit.
La mentalité d’habitacle est une utopie profondément contradictoire.
Des préjugés qui tuent
Un préjugé tenace persiste dans l’esprit de nos décideurs, aussi bien à Québec que dans de nombreuses municipalités : développement autoroutier rimerait avec fluidité.
Or, cela fait déjà quelques décennies que ce lien de cause à effet a été invalidé. Au contraire, même, l’ajout de voies autoroutières, après une courte période, aggrave le problème de congestion.
Ce sera d’autant plus vrai dans le cas de l’autoroute 19. En effet, du côté de Montréal, celle-ci n’est connectée à aucune voie à débit comparable : elle se déverse directement dans un secteur résidentiel de l’arrondissement Ahuntsic – à proximité de deux écoles, qui plus est.
Or, on le constate depuis un certain temps déjà, la population des quartiers résidentiels exige de plus en plus de réduire les largesses accordées au transport automobile, afin de rééquilibrer le partage des voies publiques. Il en va de la sécurité des piétons, en particulier des enfants qui se rendent à l’école.
On veut plus de place pour la voiture, mais moins de circulation de transit.
La mort de Mariia Legenkovska, dans le quartier Sainte-Marie au mois de décembre, a rappelé tragiquement tout le danger que représente le flux de voitures en provenance ou en direction des ponts. Ce genre d’histoire risque malheureusement de se répéter si les volontés de Bois-des-Filion sont exaucées, et ce, peu importe la hauteur du mur antibruit ou celle du pont d’étagement.
La mentalité d’habitacle, encore : qu’importe le danger pour les résident·es de la ville-centre si on peut obtenir le mirage d’une plus grande fluidité pour les automobilistes de banlieue? Dans le confort de son VUS, on ne sent pas ce danger… et même, on ne voit pas les gens que l’on met en danger.
Quelqu’un au ministère des Transports pourrait-il sonner l’alarme? Rappeler que les projets comme le prolongement de la 19 vont complètement à l’opposé des objectifs non seulement de réduction du nombre de morts et blessés causés par l’usage de l’automobile, mais aussi d’apaisement général de la circulation, de réduction des émissions de GES et d’endiguement de l’étalement urbain?
En demandant le prolongement de l’autoroute 19, la municipalité de Bois-des-Filion pensait pouvoir préserver la qualité de son milieu urbain tout en gagnant en fluidité du transport vers Montréal. En réalité, elle sacrifiera la première sans faire quelque gain durable du côté de la seconde. Avec, à la clé, un risque accru de blessures et de morts.
On est encore loin du progrès.