Lutte pour les retraites en France : la renaissance du pouvoir gris

CHRONIQUE | La retraite est un point de friction entre le travail et le capital. Les luttes tournent parfois à l’avantage des patrons, parfois à l’avantage des travailleur·euses.

En phase avec l’esprit néolibéral-conservateur du capitalisme avancé, l’État français de Macron a réussi à repousser l’âge de la retraite de 62 à 64 ans.

Vous vous souvenez qu’Harper avait fait la même chose, en faisant passer ce seuil de 65 à 67 ans? Le gouvernement Trudeau avait renversé la vapeur au début de son premier mandat.

Depuis le saccage de l’État providence après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, cette menace plane constamment, comme une épée de Damoclès sans pitié. On dira qu’il faut rationaliser les dépenses de l’État; que le nombre de retraité·es est devenu trop important avec le vieillissement démographique de la population; que la retraite, c’est la paresse.

D’un point de vue macroéconomique, il est en effet avantageux pour les gouvernements de repousser l’âge de la retraite pour inciter davantage de personnes à rester dans un marché de l’emploi où règne « la pénurie de la main-d’œuvre ».

Un droit durement gagné, jamais garanti

La retraite est donc une régulation, un point de friction et d’équilibre entre le travail et le Capital. Les luttes pour et contre le droit à la retraite tournent parfois à l’avantage des patrons, parfois à l’avantage des travailleur·euses.

Les premières retraites établies – autant dans les régimes de l’Antiquité que dans les États capitalistes occidentaux – l’ont été pour les cadres militaires. Au début du 20e siècle, les mouvements ouvriers ont entrepris de revendiquer un tel « congé », s’appliquant, de manière complémentaire à la soirée et aux week-ends, à tout un âge de la vie. L’espérance de vie a également augmenté significativement durant la deuxième moitié du 20e siècle.

Aux États-Unis, la retraite universelle apparaît dans le New Deal, après la crise de 1929, dans un moment particulier où le Capital sait qu’il doit faire des concessions pour ne pas se faire renverser.

Par ailleurs, dans les 30 dernières années, les régimes de retraite en Occident ont subi plusieurs transformations inquiétantes, particulièrement au Canada et aux États-Unis.

La retraite est donc une régulation, un point de friction et d’équilibre entre le travail et le Capital.

L’excellent ouvrage La retraite en commun de Riel Michaud-Beaudry nous apprend que les régimes de retraite publics, surtout à prestations déterminées, ne sont pas suffisamment indexés à l’inflation. Les retraité·es qui en bénéficient perdent donc un pouvoir d’achat année après année.

De plus, la part des revenus de retraite issus de régimes privés est également en augmentation. Bref, nous assistons, du moins chez nous, à un passage de la retraite comme assurance-vieillesse collectivisée et mutualisée vers une retraite individualisée, basée sur l’épargne personnelle, les REER et les CELI, sans oublier les fonds d’investissement cotés en bourse.

Le capitalisme – et surtout le secteur immobilier – se nourrit à même les cotisations de retraites de millions de personnes pour créer davantage de « valeur ». En effet, les investisseurs principaux de groupes de gestion de portefeuilles immenses comme BlackRock sont… des fonds de pension. Le serpent se mord la queue.

Tout cela en dit long sur les reculs qui ont affecté le monde du travail et de la finance dans les dernières décennies et sur l’état peu encourageant des luttes à ce sujet.

C’est pourquoi les mobilisations qui se déroulent présentement en France sont si intéressantes : l’idée selon laquelle la vieillesse devrait être minimalement prise en charge par la collectivité n’est pas morte, loin de là. Elle pourrait même devenir l’étincelle d’un conflit social plus important – contre le capitalisme lui-même.

La retraite, un concept condamné?

Dans les limites de ce mode de production violent qu’est le capitalisme, la retraite est évidemment un droit social important, gagné et constamment défendu. Or, dans un contexte de changements climatiques, d’effondrement des chaînes d’approvisionnement et des infrastructures, que voudra dire « prendre sa retraite »?

Pour une proportion de plus en plus importante de personnes retraitées, la retraite est synonyme de proche-aidance pour pallier l’absence de services et de soins publics. Ceux-ci se sont en effet réduits comme peau de chagrin depuis les politiques d’austérité qui ont suivi la crise financière de 2008.

Dans un contexte de changements climatiques, que voudra dire « prendre sa retraite »?

Si l’essence de la retraite, qui succède à la brutalité du travail salarial, est d’obtenir un « congé » et « d’en profiter », les chances sont grandes pour que cette pause méritée ne se passe pas exactement comme prévu.

Peut-être qu’il faut alors remettre en question le modèle de production et de consommation tout entier.

Ce que la France vieillissante fait en ce moment, c’est exposer au grand jour ces contradictions. Espérons qu’elle ne s’arrête pas là.

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